Émancipation


tendance intersyndicale

Quelles perspectives de lutte ?

Pendant les quelques semaines ayant suivi l’élection présidentielle aux États-Unis – qui a certes une importance réelle – nous avons eu droit à des discours rassurants sur la perspective d’un retour à la stabilité internationale et au “multilatéralisme” pour soigner les maux sociaux et écologiques qui résultent en fait du capitalisme lui-même.

Or la réalité est celle d’une situation politique, sociale, économique et écologique instable. Depuis l’Algérie jusqu’à la Colombie en passant par la Birmanie, les révoltes populaires éclatent contre des gouvernements capitalistes corrompus, et font face à la répression.

Le profit “quoi qu’il en coûte”
Les annonces de Biden sont présentées par certain·es comme celles d’un grand progressiste, ressuscitant le “New Deal” de Roosevelt… en fait, ses plans de relance correspondent à une analyse d’une partie des classes dominantes des États-Unis : il y a nécessité d’investissements, notamment dans les infrastructures, pour demeurer la première puissance économique mondiale. Ainsi la question de la levée des brevets : un éditorial remarqué du New York Times la réclamait, car cela correspondrait à l’intérêt bien compris des milieux d’affaires. En effet, si la pandémie se poursuit dans les pays dominés par impossibilité de vacciner la population, cela compromet la bonne reprise des affaires et des échanges mondiaux. Soit dit en passant, la question de la levée des brevets ne règle pas les problèmes : vacciner massivement les peuples pose la question de la production, et de l’expropriation des multinationales pharmaceutiques. Si J. Biden apparaît comme progressiste, c’est surtout par contraste avec divers gouvernements européens dont le gouvernement français qui n’en sont même pas là.
Ces différents gouvernements partagent le même objectif : restaurer ou garder leur rang dans la compétition économique mondiale. Cela signifie baisser le “coût du travail”, et donc mener des attaques sociales mais aussi politiques en attaquant les libertés démocratiques pour mieux faire passer leurs mesures. C’est le cas en France, et d’ailleurs cela avait déjà commencé (cf. les mesures de l’état d’urgence sanitaire permettant au patronat de déroger à certaines dispositions du Code du travail). Il y a déjà les signes de l’offensive à venir que veut enclencher le gouvernement quand la situation sera propice de son point de vue : la contre-réforme des retraites, la question de la “dette” (comme en 2008, l’État arrose les banques à coups de centaines demilliards, s’endette puis programme des plans d’austérité), la réforme de l’assurance-chômage, des vagues de licenciements annoncées ou à prévoir.
Cette attaque sociale est aussi une attaque politique : il s’agit de renforcer encore la logique de la Ve République et du pouvoir vertical et personnel. Ainsi on programme une sortie de l’état d’urgence sanitaire tout en maintenant la possibilité d’une limitation des déplacements et de la vie sociale. Alors que même d’autres gouvernements libéraux, qui ne sont en aucun cas des modèles, agissent différemment : ainsi le gouvernement réactionnaire anglais, après un vrai confinement et une campagne de vaccination massive, a fait quasiment disparaître le virus et il rétablit la liberté de mouvement.
Cette réalité s’adosse au renforcement de l’État policier : après les lois “sécurité globale” et “séparatisme”, d’autres sont déjà annoncées.
C’est dans ce contexte qu’est apparue la “lettre des généraux”. Elle ne se limite pas à l’extrême droite classique, mais exprime la pensée d’une fraction de l’appareil d’État (même si l’extrême droite n’est pas sans lien avec des fractions de l’appareil d’État, notamment la police et l’armée) : pour eux, se pose la question de remplacer Macron, car il ne va pas encore assez loin, par un dirigeant encore plus autoritaire. Dans ce contexte l’extrême droite s’enhardit et développe des actions violentes (contre des locaux militants, par exemple). La manifestation policière – et politique – du 19 mai, dans un élan d’unité nationale de type “factieux”, s’inscrit dans ce contexte.

L’alerte du Premier Mai
Cette question de l’extrême droite a été posée à propos du déroulement du 1er Mai, notamment à Paris. Il y a eu de nombreuses discussions dans les milieux militants, avec des points de vue très variés. Cette question mériterait un article spécifique, soulignons deux points.
D’abord la responsabilité principale : la responsabilité politique du préfet de police de Paris, et donc du pouvoir. D’autant plus que peu de temps après, la manifestation de défense du peuple palestinien a purement et simplement été interdite.
Se pose aussi la question des affrontements entre éléments du “cortège de tête” – par ailleurs très divers – et le service d’ordre de la CGT : beaucoup de messages ont circulé là aussi, en tout cas l’agression de militant.es de base de la CGT est inacceptable. Au fond, cela pose des questions beaucoup plus vastes, qui sont au final celle du rapport entre auto-organisation et organisations ouvrières traditionnelles. Le “cortège de tête” est en effet l’expression d’une insatisfaction justifiée par rapport à l’orientation des directions syndicales, une manière d’exprimer cette insatisfaction. Par exemple : quels rapports entre cortège de tête et cortège syndical ? Quel est le but qu’on veut assigner à une manifestation ? Etc.

Éducation : fin d’année chaotique, nécessité d’une riposte
Dans l’Éducation, il y a bien entendu le contexte sanitaire : après un pseudo-confinement, la rentrée de mai s’est faite sous le signe du retour des autorisations de déplacements et d’une ouverture programmée de divers lieux… et personne ne sait comment évoluera la question sanitaire. En revanche, il est incontestable que le gouvernement n’a rien préparé de sérieux : après la comédie des masques, des vaccins, voici celle des auto-tests censés arriver dans les établissements (ici ils sont réservés aux professeur·es donc pas aux AED ni aux AESH, là aux seul·es professeur·es en poste fixe, etc.).
Dans ce contexte, la politique des directions syndicales ne favorise pas les luttes. Ainsi, le communiqué unitaire de “rentrée” ne donne aucune perspective d’action, ni même ne soutient les éventuelles actions décidées par les personnels[1] (1). C’est le reflet d’une orientation plus générale, consistant à penser que tout se jouera en 2022. On peut le comprendre de la part de forces politiques se situant sur ce terrain, mais de la part de courants syndicaux, cela signifie penser qu’on ne peut pas faire reculer Macron sur des points importants… et a pour conséquence d’aboutir à une plateforme revendicative qui revendique ce qui est compatible avec le pouvoir.
Alors dans le même temps, l’orientation de Macron et Blanquer est connue : maintien des suppressions de postes et des contre-réformes pour la rentrée, préparer de nouvelles contre-réformes, accentuer les aspects les plus réactionnaires de leur politique (c’est le sens de la circulaire du 6 mai sur l’“écriture inclusive”). Et dans le même temps, ils multiplient actes de répression et d’intimidation : ainsi en cette rentrée des militant·es sont réprimé·es à Clermont-Ferrand, et aussi à Dijon, sans compter les attaques absolument répugnantes contre les mobilisations lycéennes (exclusions, interventions violentes et humiliantes de la police…).

Une perspective indispensable
Dans cette situation, quelles perspectives de lutte ? Il y a des mobilisations d’entreprises dans le privé (dans l’automobile notamment), mais la principale mobilisation d’ampleur ces dernières semaines a été celle des lycéen·nes, et – de façon nouvelle – de personnels précaires que sont les AED et AESH.
La question qui est posée dans les lycées est celle de la fin d’année : celle des épreuves de bac et du Grand oral. La situation est difficile, et cette situation a été entièrement créée par Blanquer : en ne répondant à aucune revendication sur ces sujets (notamment les recrutements et baisses des effectifs par classe, le report des épreuves de spécialité en juin, la révision des programmes)… on se retrouve avec un amoncellement de dispositifs : contrôles pour avoir une moyenne, épreuves de bac blanc, préparation du Grand oral, programmes pas finis… tout cela à un mois des épreuves. Du coup le mouvement lycéen se concentre sur cette question : ses revendications, comme celles de la FCPE, c’est la suppression de ces épreuves et le passage en contrôle continu.
On ne peut pas se contenter comme divers courants de dire qu’il faut abroger Parcoursup, remettre un bac national : certes, mais personne ne pense sérieusement que pour cette fin d’année on peut programmer des épreuves terminales dans toutes les matières en moins d’un mois. Une telle orientation n’est pas opérante pour les mobilisations si elle ne s’accompagne pas de revendications immédiates.
Nous ne sommes pas pour le contrôle continu, donc en fait la seule position viable est celle adoptée par les AG de plusieurs lycées : la validation du bac pour tou·tes les élèves, moyennant leur présence aux cours, et l’abrogation des réformes Blanquer. À défaut (mais seulement à défaut, sachant qu’il n’y a pas de revendication totalement satisfaisante dans cette situation) le passage, à titre exceptionnel, au contrôle continu et la non-tenue des épreuves de fin d’année est la moins mauvaise des solutions.
Mais une autre question se pose : quelle rentrée de septembre ? Elle sera inacceptable : retards scolaires accumulés, hausse des effectifs par classe, précarité… il est temps que les personnels, à partir d’AG souveraines locales, impulsent et prennent le contrôle de leurs mobilisations dès la rentrée, en lien avec les organisations syndicales.

Quentin Dauphiné


[1] Communiqué CFDT / CGT / FSU / SUD du 25 avril : Pour que l’école tienne : adapter, vacciner, recruter.


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