Aujourd’hui s’est ouvert le congrès national du SNES, dans le contexte très particulier que nous connaissons. Il a été ouvert par le discours d’ouverture de Frédérique Rolet, secrétaire générale du SNES, que vous pouvez lire sur le blog dédié au congrès.
Ce premier jour a été marqué par la discussion sur le rapport d’activité de la direction nationale sortante (*). Emancipation a voté « contre » le rapport d’activité, à partir de son analyse du bilan de l’action syndicale depuis le congrès de 2018 et des orientations qui le sous-tendent. Mais aussi en portant le débat sur les priorités de luttes pour les prochains jours et les prochains mois. Vous pourrez lire ci-dessous les interventions de deux camarades dans le débat.
(*) Rappelons que la « direction nationale sortante », c’est l’exécutif national commun à « Unité & Action » et « Ecole Emancipée ». Certain.es militant.es de l’EE ont été étonné.es de cette caractérisation, leur étonnement est étonnant car cela fait vingt ans que l’EE a majoritairement fait le choix d’intégrer l’exécutif national du SNES (dans la FSU l’intégration à l’appareil est plus ancienne encore)… et cela a même déclenché la scission ayant donné naissance à notre tendance « Emancipation ».
Intervention Emancipation sur le rapport d’activité
Bonjour camarades,
Pour Emancipation, la démocratie syndicale est rendue difficile par la situation sanitaire et nous avions en conséquence demandé un report du congrès et des élections internes. N’ayant pas eu gain de cause, notre organisation devra donc nous permettre d’échanger et de nous organiser au moins mal.
Nous allons nous centrer sur la question du rapport au gouvernement et de la participation aux luttes pour développer sur les raisons de notre « Non » au rapport d’activité et les enjeux du congrès selon nous.
Nous rappelons que nos critiques sont le signe d’une exigence à faire de notre syndicat un outil solide en phase avec les nécessités de la période. Nous ne critiquons donc pas le SNES en tant que tel mais l’orientation de sa direction UA-EE.
Notre intervention sera scindée en deux, un camarade du lycée Balzac de Mitry-Mory interviendra aussi sur les enjeux immédiats des luttes dans l’Education.
Concernant le relation aux pouvoirs publics, les racines des problèmes actuels d’orientation ne remontent pas à ce qui s’est passé depuis le dernier congrès en 2018. Elles se trouvaient déjà dans les accords de Bercy de 2008 sur le « dialogue social », qui ont approfondi l’intégration du syndicalisme aux modes de gouvernance capitalistes dans un contexte où la crise du capitalisme allait entraîner une accélération des plans pour restaurer les taux de profits et la privatisation des Services publics.
Avec le « plan action publique 2022 », alors que nous sommes au bord d’un basculement qualitatif en matière de casse des Services publics, et alors que le gouvernement a répondu à la crise du Covid par un Ségur de la Santé et un Grenelle de l’Education qui débouchent sur des suppressions de lits d’hôpitaux et des suppressions de postes, il n’y a pas eu de basculement de la stratégie du SNES vis-à-vis du dialogue social.
Les directions du SNES et de la FSU sont restées accrochées à une logique d’interlocuteurs du pouvoir, qui a débouché sur un affaiblissement du syndicat et n’a pas empêché le gouvernement de mettre en oeuvre des mesures qui dégradent l’enseignement public au point de préparer le terrain d’un renforcement de l’enseignement privé : avec la fin du contrôle paritaire des Commissions Administrative Paritaires, les cadeaux au privé et les attaques de Blanquer sur le collège, la fin du baccalauréat national ou encore l’instauration d’épreuves locales…
Dans le contexte du Covid, cette stratégie du dialogue social a mené à la co rédaction des « protocoles sanitaires » qui n’ont empêché :
– ni l’isolement des personnels face aux injonctions de hiérarchiques de maintien au travail dans des conditions les mettant en danger,
– ni le développement d’un enseignement « hybride » présentiel / distanciel mettant en souffrance élèves et personnels.
Concernant la structuration d’un rapport de force permettant une autre orientation, le rapport d’activité salue le mouvement des Gilets jaunes qui aurait contraint Macron à faire des annonces en faveur du pouvoir d’achat et à mettre en lumière le rôle essentiel de la Fonction publique. Mais il « oublie » de mentionner la signature de la FSU, avec donc l’aval du SNES, du communiqué du 6 décembre 2018 qui dénonçaient « toutes formes de violence dans l’expression des revendications » et se félicitait des « portes ouvertes » par le gouvernement.
Que les choses soient claires, nous ne fétichisons pas les actions violentes, encore faudrait-il définir ce qu’on entend par là, mais les dénoncer en invoquant le retour au dialogue pacifié plutôt que de proposer l’alternative de la grève pour renforcer le mouvement des Gilets jaunes a encore trahi cette volonté de montrer pattes blanches pour être reconnue par le pouvoir comme les interlocuteurs du mouvement social.
A l’heure où le FMI s’inquiète de l’instablilité sociale créée par le discrédit des gouvernements du fait de leur gestion de la pandémie et de la crise sociale, les explosions sociales restent très probables, y compris dans nos professions : à rebours de l’adaptation au cadre des contre-réformes que nous proposent les rapports préparatoires – qui ne permettent pas au passage de rassembler plus de collègues dans l’action mais peuvent susciter le scepticisme face aux structures syndicales. Il s’agirait plutôt maintenant de se préparer à un affrontement inévitable. La grosse erreur dans cette situation serait de renoncer à une reconstruction patiente sur le terrain des luttes en espérant le rétablissement d’un « bon dialogue social » si tant est qu’il ait déjà été bon un jour. Si la question syndicale est liée à la question politique, s’en remettre à une alternance électorale avec un « bon candidat » en 2022 ne réglera rien.
Vous l’aurez compris pour nous, l’un des enjeux du congrès est la réorientation de la stratégie syndicale Une telle réorientation ne se décrète pas mais alors que des sauts qualitatifs sont opérés en matière de destruction de l’Enseignement, du métier et des statuts mais aussi plus généralement en matière de destruction des libertés et des conditions de vie, elle doit s’engager dès maintenant.
Cette réorientation passe par :
* l’exigence d’abrogation des contre-réformes qui organisent la précarité pour les personnels, le traitement inégalitaire des élèves et projettent d’achever le caractère Public de l’enseignement, avec notamment la question de l’autoévaluations des établissements ou encore celle des Contrats Locaux d’Accompagnement.
* l’exigence d’abrogation des lois liberticides qui s’abattent sur le mouvement social et stigmatisent certaines catégories de la population.
* l’impulsion et le soutien des luttes en cours.
La structure syndicale doit devenir un point d’appui pour les cadres d’auto-organisations et les collectifs, en acceptant de perdre son statut d’interlocuteur privilégée qui la mène trop souvent à se penser en opposition à ces formes d’organisations dans lesquelles se retrouvent pourtant nombre de collègues mobilisées. Cette hostilité vis à vis des cadres d’organisation non syndicaux s’est notamment retrouvée dans plusieurs villes pour l’organisation de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes le 8 mars où des représentants et représentantes de structures syndicales ont tenté de reprendre la main, parfois en tentant d’invisibiliser des collectifs féministes. Pour Emancipation, le rôle du syndicat n’est pas d’invisibiliser les structures d’auto-organisation, mais de travailler avec elles. Cette attitude concerne parfois aussi des luttes de personnels se trouvant explicitement dans notre champ de syndicalisation mais pour parler des luttes dans notre secteur, je vais passer la main à mon camarade du lycée Balzac de Mitry-Mory.
Intervention Emancipation sur les urgences revendicatives
La question du rôle de notre syndicat dans les luttes est effectivement d’actualité, aux regards des mobilisations en cours et à venir.
Après le 8 avril, une nouvelle mobilisation nationale des AESH est prévue le 3 juin à l’appel d’une intersyndicale. Nous devons tout faire pour que cela soit une réussite, en mobilisant les collègues AESH mais aussi les autres catégories de personnels, à commencer par les enseignant-e-s, en appui à leurs revendications.
Comme cela a été rappelé, les collectifs d’AED organisent aussi de nouvelles actions cette semaine. Nous devons, là aussi, les soutenir activement. Et au lieu d’évoquer, comme le font certains, des revendications qui seraient incompatibles, il faut saluer le travail d’élaboration revendicative effectué par ces collectifs, notamment pour la redéfinition de leur métier et de leurs conditions d’emploi. Nous relevons à ce propos que le dernier communiqué intersyndical concernant la mobilisation des AED ne dit rien de la revendication statutaire, pourtant centrale.
Les lycéen-ne-s sont également mobilisé-e-s depuis plusieurs semaines. Dans les lycées, les collègues se sont organisé-e-s, avec l’appui de leurs sections syndicales, pour accompagner les élèves, y compris en se mettant parfois en grève. Les sections départementales et académiques du SNES ont souvent relayé ces mobilisations et dénoncé la répression. Mais nous ne pouvons pas nous en tenir à un soutien localisé aux élèves ou à des déclarations de principe. Nous devons entrer pleinement dans la lutte, et appeler les collègues à le faire, au niveau national.
Les jeunes mobilisés demandent principalement la suppression des épreuves prévues en juin. Pour ce qui est du grand oral, c’est une évidence. En revanche, concernant la philosophie et le français, nous savons les réticences d’une partie de nos camarades. Mais je voudrais rappeler pourquoi nous avons défendu, pendant longtemps, le maintien de ces épreuves. C’est parce que ce sont des épreuves terminales, nationales et anonymes, nécessaires à l’égalité de traitement des candidat-e-s et avec la valeur nationale du diplôme. Mais pour que cela reste vrai, il aurait fallu une année scolaire moins perturbée, il aurait fallu des aménagements de programme décidés suffisamment tôt, et il aurait fallu des règles communes pour l’organisation des cours depuis novembre. Cela n’a hélas pas été le cas. Pire, le choix bancal de Blanquer concernant la philosophie crée de nouvelles inégalités, puisque certains élèves auront une note d’examen, et d’autres une note issue du bulletin.
Dans ces conditions, défendre la tenue de ces épreuves n’a plus vraiment de sens, si ce n’est de s’accrocher à un symbole qui ne correspond plus à la réalité. D’ailleurs, si Blanquer lui-même veut les maintenir, c’est pour entretenir l’illusion d’un Bac normal devant l’opinion publique, et cacher le désastre de sa politique, comme il l’a fait lors des sessions 2019 et 2020.
Pour autant, il est vrai que la généralisation du contrôle continu pose problème, car il multiplie les inégalités et favorise les pratiques douteuses déjà observées l’an dernier. Dans cette situation exceptionnelle, la délivrance du Bac à tous les élèves de Terminale serait la moins mauvaise solution.
En tout état de cause, nous pensons que le SNES-FSU doit exprimer clairement sa solidarité avec le mouvement lycéen, et organiser au plus vite la mobilisation, pour ne pas laisser les élèves seuls face au pouvoir. Cela doit passer par la mobilisation immédiate à leur côté, et aussi par la mise en débat des actions possibles durant le mois de juin, si le ministère n’a pas reculé avant la tenue des épreuves et des jurys.
N’attendons ni la rentrée de septembre, ni les élections de 2022 pour défendre nos revendications et faire reculer Blanquer !