Émancipation


tendance intersyndicale

Le statut revient par la fenêtre

Direction d’école

Parmi les nombreuses mesures actuelles du gouvernement la proposition de loi Rilhac est essentielle qui définit les nouvelles fonctions de la direction d’école. Entre autres, décharge complète dès huit classes (plus de mention de la spécificité REP,/REP+), augmentation de la bonification de l’indemnité, octroi du pouvoir décisionnaire, exercice sous l’autorité directe du DASEN, progression de carrière accélérée, cumul possible de fonctions relevant de collectivités territoriales pour la gestion du périscolaire, en clair une bousculade de mesures excluant pourtant le statut.

Les réformes des retraites et du chômage sont suspendues mais non supprimées. Pour le reste, tout continue, y compris dans l’Éducation nationale et le primaire. Après les réformes du lycée, du collège, du BAC, de parcours SUP, qui ont mis l’Éducation nationale publique à terre, il s’agit pour Blanquer de profiter de la paralysie y compris syndicale en lien avec l’urgence sanitaire afin d’“inventer un nouveau système d’enseignement”.

Un contrôle hiérarchique renforcé

Comme pour tous les services publics, l’Éducation nationale doit se mettre au service de l’économie capitaliste. Sa réorganisation doit profiter au développement du nouveau marché de l’enseignement à distance (qui pèse environ sept milliards d’euros). D’où l’importance de l’expérimentation à dimension nationale qui a lieu actuellement. Blanquer l’a dit sur France Inter le 8 mai : il prépare pour septembre un système en mi-présentiel, mi-distanciel. Un distanciel qui, précisons-le, s’est mis en place sans respect aucun des lois existantes en la matière.

Le gouvernement a pris acte du fait qu’il ne pouvait imposer un statut de direction d’école. Sa dernière tentative consistait à attribuer cette direction d’école à un proviseur adjoint du collège référent. La mobilisation l’a forcé à reculer. Il récidive maintenant avec la proposition Cécile Rilhac du 12 mai 2020. Prudente, C. Rilhac appuyée par tout LREM et la droite, ne repropose pas de statut mais, nuance, de créer les fonctions du statut, ce qui revient presque au même. Le rôle hiérarchique de l’IEN serait préservé.

La direction d’école ne relèverait plus de l’autorité de l’IEN. Elle serait choisie et nommée par le DASEN qui pourrait modifier ses fonctions, au cas par cas. Elle serait “délégataire de l’autorité académique”, selon Rilhac. La surveillance de la gestion des écoles s’effectuerait donc par l’Inspection académique via un référent académique et via la direction d’école. Le gouvernement veut agir vite, alors même que des scandales agitent l’opinion. La lettre du 7 mai du ministre à tous les cadres des Directions des Ressources Humaines de l’EN les somme de se dépêcher d’évaluer, d’aider et d’orienter tous les personnels en cette fin d’épidémie, sous couvert de difficultés à gérer le confinement, de mal être, de demandes de ré-orientation, etc. C’est le premier test grandeur nature qui va permettre au ministre d’organiser ces nouveaux services, de distribuer les rôles et positionner la direction d’école sur l’échiquier DRH.

Conseil délibératif et direction exécutive

Dans la lettre aux DRH, il est constamment fait référence aux cadres et à l’encadrement des Ressources Humaines. Derrière cette insistance, l’enseignant·e en tant que cadre disparaît corps et biens. Il est désormais soumis aux ordres des autres cadres DRH, les “vrais”. Dans la proposition de loi, disparition aussi du Conseil des maîtres. Seul l’exposé des motifs de la loi s’y réfère pour expliciter son rôle consultatif, et son nouveau rapport à la direction qui “anime le conseil des maîtres, le consulte et l’associe pour organiser…” l’école. La lettre du ministre aux DRH précise aussi que le rôle du Conseil des maîtres est uniquement consultatif. Le Conseil des maîtres, instance auparavant décisoire la plus démocratique qui fût, encore mentionné dans des écrits qui n’ont pas valeur de loi disparaît légalement.

L’article 1 de la proposition de loi donne clairement son rôle délibératif au Conseil d’école, dont le directeur deviendrait l’exécutif. L’article précise que le directeur “entérine les décisions qui y sont prises et les met en œuvre”. Le Conseil d’école nouvelle formule entraînerait l’école vers un simili statut d’établissement scolaire où les enseignant·es auraient moins de poids qu’un·e délégué·e de parents d’élèves car il/elle ne représenterait que lui/elle-même.

L’embauche sous contrat des professeurs !

L’extinction progressive du statut de fonctionnaire, c’est maintenant. C’est un des fils rouges des réformes de la Fonction publique. Aussi et surtout dans l’EN, où le gouvernement veut généraliser l’embauche sous contrat. L’astuce consiste à l’imposer au travers de la formation initiale. Le projet d’arrêté paru la semaine du 11 mai 2020 sur la formation initiale, l’introduirait définitivement, confirmé par l’appel video à candidature du Directeur de la DGESCO lui-même ( voir ici). Pour cela, le projet d’arrêté toilette l’arrêté du 27 août 2013 en supprimant toute référence au fonctionnaire stagiaire, et introduisant le contrat de travail, opposé à celui de fonctionnaire s’il en est.

Les futur·es professeur·es passeraient ainsi, tous et toutes par la case contractuelle. Les rails seraient posés dès le début. Le statut des enseignant·es seraient remplacés par le contrat à la vitesse V et la précarité qui va avec. La crise économique annonce un chômage massif. L’offre de contrat et sa paye misérable de 600 à 900 euros par mois a toutes ses chances. Le contrat généralisé diminuerait la plus grosse masse salariale de l’État, permettrait de mieux contrôler nombre, carrière et orientation des personnels mais aussi d’imposer les mesures pédagogiques du nouveau système, via les chefs d’établissements et la nouvelle direction d’école qui y ressemble. D’ailleurs ont été créés la rupture conventionnelle et le licenciement dans la Fonction publique. Preuve s’il en est que la précarité généralisée est le moyen que privilégie ce gouvernement pour accroître son contrôle.

Le prétexte du protocole sanitaire

Blanquer, le 19 mai, a présenté son schéma d’enseignement pour septembre aux député·es et sénateur·trices. Les droites macronienne et traditionnelle jubilent. Dedans il y a l’enseignement à distance et l’externalisation d’une partie de ces enseignements au travers des activités sport-santé et culture-civisme, les 2S2C (Sport-Santé-Culture-Civisme). Mais le plus important, le corollaire de tout cela, c’est la division par deux du nombre d’heures de cours. C’est le modèle allemand, pourtant abandonné, qui est mis en avant, comme ont été mis en avant au fil du temps et des stratégies de casse des gouvernements, les modèles italien, québecois, suédois, finlandais, hong-kongais, taïwanais, etc.

Le protocole sanitaire résulte d’une exigence syndicale. Trop heureux, le gouvernement l’a fait. Il s’en sert maintenant pour mettre en place son nouveau système tel qu’annoncé. Le protocole sanitaire du dé-confinement a pour but de désorganiser d’abord pour complètement réorganiser ensuite. Ainsi entre autres, il impose, via des injonctions hiérarchiques non discutables et non discutées, les classes à 15, le mélange des niveaux, la différenciation à outrance, la scission de la maternelle entre Grande section et Petite/Moyenne section, et la poursuite des deux enseignements en présentiel et distanciel. Sous-couvert de rescolariser les décrocheurs, Blanquer poursuit son expérimentation au plan national initiée avec le télé-enseignement durant le confinement. Le protocole sanitaire a pour but de préparer les esprits à une rentrée 2020 en complète rupture avec l’avant. Il s’agit de mettre en place un système de tri et de sélection dès la maternelle !

S’opposer au gouvernement !

Or les directions syndicales ont fait le choix objectif de l’“Union nationale” en poursuivant le dialogue social. Elles cautionnent ainsi ce que fait le gouvernement. Et leurs critiques, exigences et menaces tonitruantes et médiatisées à son encontre ne changent rien à l’affaire.

Pour abroger toutes les réformes qu’il a passées, et empêcher celles qu’il est en train de faire passer, les directions syndicales doivent commencer par condamner l’“Union Nationale” avec ce gouvernement qui casse nos droits collectifs, et qui pour ce faire, réprime et tue ! Qu’elles refusent le dialogue social qui sert de caution à tout ce qu’il fait ! Qu’elles s’opposent frontalement à lui pour donner une issue collective à gauche à tous les travailleurs et travailleuses qui le combattent en s’unissant seulement à ceux/celles qui le combattent frontalement !

Marie Contaux, 19 mai 2020