Émancipation


tendance intersyndicale

L’Amassada en procès

Dans la foulée de l’expulsion du 8 octobre 2019, quatre militant·es de l’Amassada ont été inculpé·es et devaient être jugé·es à Rodez le 11 mars. Le tribunal s’est prononcé sur les demandes de nullité le 22 avril. Elles ont été rejetées et le procès se déroulera le 10 juin.

Les demandes de nullités ont été rejetées. Toutes. Autant vous dire que malgré ce que nous vivons en ce moment, la justice tient à ce procès, elle compte bien juger ces personnes qui se battent face à un libéralisme qui n’a honte de rien. Cela se déroulera le 10 juin à Rodez et on vous y attend au moins aussi nombreux et nombreuses que la dernière fois.

Même si ce virus bouleverse bien des choses, cela n’affecte en rien notre détermination à nous battre et même si des choses changeront probablement, l’opportunité sécuritaire qu’est en train de saisir l’État nous semble importante à comprendre et à combattre dès maintenant. Soutien aux révolté·es dans les banlieues et partout où la rage se déconfine.

La journée du 10 mars à Rodez

Mardi 10 mars, il est dix-huit heures à la grange de Floyrac, les gens arrivent par grappes de tout l’Aveyron et de bien plus loin pour assister aux conférences en soutien aux inculpé·es du lendemain. Le lieu n’est pas commun pour les rats des villes et des champs que nous sommes.

C’est une ancienne dépendance du château du même nom, habituellement dévolue à la musique classique, la peinture et leurs publics plutôt huppés. Ce lieu culturel ruthénois a, au cours du mouvement gilet jaune, été ouvert de manière totalement gratuite par ses deux sympathiques responsables à toutes sortes de réunions et de conférences bigarrées.

Concerts et expositions ont cependant continué. Cet élargissement de destination provoque, paraît-il, l’agacement certain de la préfète Mme de la Robertie. Sur le balcon intérieur est accroché une énorme banderole qui clame dans une calligraphie parfaite : “Contre la cécité de la raison d’État, l’État de nécessité”.

Le décor étant maintenant posé, imaginons deux des quatre inculpé·es, flamboyantes, monter sur scène et lire ce texte qui replace l’évènement dans la lutte contre le transfo de Saint-Victor.

Plus de 10 ans de lutte contre le méga-transformateur et ses 3000 éoliennes

En 2008, l’ancien maire de Saint-Victor-et-Melvieu passe en catimini un arrêté autorisant l’implantation sur la commune d’un deuxième transfo.

Malgré les magouilles, la population apprend l’existence du projet et n’a de cesse depuis ce jour de le contester. La lutte s’étend au-delà du village, rassemblant petit à petit des habitant·es de l’Aveyron puis des collectifs anti-éolien pour finir par rayonner à l’échelon national, voire international.

L’Amassada (assemblée en occitan) voit le jour et une première cabane est érigée avec la complicité des habitant·es et des camarades d’autres luttes. En quelques années, c’est autour de ce qui est devenu un hameau, que se construira une base de la contestation de la transition écologique.

Le projet du transfo, c’est quoi ?

Un poste de transformation électrique s’étalant sur 5 ha de terres agricoles (15 ha prévus à terme) comprenant son lot de nuisances : ondes électromagnétiques, gaz extrêmement dangereux sous pression, composants électroniques, etc. À cela s’ajoute le doublement de la ligne THT et le déploiement de nouvelles lignes HT, le tout passant au-dessus du village. Car l’objectif d’un transfo de cette taille n’est pas de permettre une meilleure répartition de l’énergie, mais bien d’envoyer toujours plus d’électricité, toujours plus loin, pour la vendre au plus offrant. Et tout cela sous les auspices des bourses européennes de l’électricité qui en font un produit comme un autre, géré par le marché.

Mais le projet du transfo ne s’arrête pas là… car dès l’origine, RTE (Réseau de transport d’électricité, filiale d’EDF) justifie ce projet par l’extension tout azimut des éoliennes industrielles sur l’Aveyron et les départements limitrophes.

Les grandes éoliennes n’ont rien d’écologique, elles ne se substituent à aucune autre énergie carbonée, elles s’ajoutent à la production existante et la logique reste bien de produire toujours plus pour amasser toujours plus de profits. Mais par un tour de passe-passe médiatique et de propagande étatique, cette industrie qui détruit des milliers de vie à l’autre bout du monde est devenue verte et écologique en passant la frontière.

Cinq ans d’occupation

Nous ne sommes plus dupes de ces mensonges, nous voulons stopper le massacre de nos “païs” et construire ensemble un monde meilleur, pour nous, nos enfants, leurs enfants… Cette utopie nous l’avons vécue et partagée pendant cinq ans, sur ces terres ventées du Sud Aveyron.

Nous avons érigé par nos corps, par nos fêtes, par nos têtes, par notre amour, une commune libre où tous nous pouvions nous retrouver, échanger, débattre et comprendre mieux les mécanismes d’asservissement et de propagande du système capitaliste, afin d’imaginer de nouvelles façons de lutter.

Même si nous avons retardé le projet, “force doit rester à la loi” comme a dit Mme la préfète, et il semble que nous dérangions un peu trop cette loi et ceux qui la font. Par un matin d’octobre dernier, ce sont près de 200 gendarmes, deux blindés et toute la clique des services associés qui débouleront sur la plaine pour raser ce hameau dans lequel nous vivions.

Et même si cette journée-là a vu nos cabanes s’effondrer, l’utopie, elle, est restée et tout ce que nous avions partagé est encore là, dans chaque personne qui a passé une heure, un jour, un an sur ce site. Et nous continuerons à défendre nos idées, nos vies. Ni la destruction, ni la répression, ni la criminalisation ne sauront venir à bout de ce que nous sommes !

Ainsi l’assemblée a pris l’habitude de la schizophrénie : annoncer la mauvaise nouvelle dans la joie !

Dénoncer le “système technicien”

La mauvaise nouvelle : il n’y aura pas de transition par la technologie.

Jacques Ellul, dès les années 50 le disait, “ce n’est pas la technique elle-même qui est en cause, c’est le système technicien”. C’est-à-dire la politique que les technologies engendrent : système de contrôle normalisé, numérisation, répression des oppositions.

Pour fabriquer ces éoliennes, il faut un système industriel de grande ampleur, un système qui colonise les territoires et les esprits, qui va chercher les terres rares à l’autre bout de la planète, détruisant des équilibres de productions, des équilibres sociaux au mépris des peuples.

Autre mauvaise nouvelle maintenant bien documentée : les sources d’énergie ne se remplacent pas, elles s’additionnent ; le charbon ne remplace pas le bois, le nucléaire ne remplace pas le charbon, le prétendu renouvelable (éolienne, solaire) ne remplace pas le nucléaire.

Mais les intérêts industriels et financiers continuent de le faire croire, alimentant les délires extractivistes. Ce sera le propos de Christophe Bonneuil.

C’est pourquoi les colporteurs de mauvaises nouvelles seront empêchés par tous les moyens de la répression et de la contre-révolution.

L’Amassada en a été la cible constante depuis plusieurs années.

La bonne nouvelle viendra de la convergence des luttes de ces derniers temps où il deviendra évident que l’occupation des ronds-points et celle de la Plaine à Saint-Victor relèvent de la même logique. Comme tous les mouvements de ces dernières années, l’Amassada s’est vu criminalisée par l’arsenal policier et judiciaire, devenu les mercenaires des puissances industrielles. Le procès du 11 mars en est une démonstration supplémentaire : quatre personnes arrêtées, placées 48h en garde à vue et ressortant avec une liste à rallonge de chefs d’inculpation.

Mercredi 11 mars, au tribunal

Il doit être midi quand nous arrivons devant le tribunal, très vite nous sommes au moins 200. Les flics sont relativement bien cachés derrière le bâtiment. La place est à nous. Les parasols et barnums sont déployés, un buffet et une table d’info (dont le nouvel Empaillé) s’installent. L’ambiance est survoltée. Se défendre en invoquant l’état de nécessité, c’est en fait attaquer, ou en tous cas mettre la bourgeoisie devant ses responsabilités, ce qui est beaucoup plus jouissif que de subir des accusations d’outrage ou de caillassage.

Le texte lu la veille est relu par d’autres voix. La Talvera gonfle sa cornemuse et siffle son pipeau, la Talvera, c’est notre organe musical de bataille, c’est “la nature qui se défend”, c’est l’outre de la chèvre qui prend Rodez, c’est notre rythme pour les combats. Il est 14h, les camarades inculpé·es répondent aux journalistes et gravissent les marches, elles et ils sont beaucoup plus classes que les stars à Cannes ! 200 voix entonnent un dernier encouragement : “RTE dégage de notre paysage, ton transfo, tes pylônes et tes crédits carbones seront balayés bien loin de nos contrées… allez, allez, allez…”. Une longue file de soutiens suit les inculpé·es dans l’audience.

Un soutien festif et déterminé

Et pour ceux qui restent devant le tribunal, c’est une audience libérée, sens dessus-dessous. Des prises de paroles s’organisent, nous entendrons la conf’ Aveyron, les Gilets jaunes de Rodez, la CGT qui a gagné son combat à la poste de Cassagnes Bégonhès, les comités de soutien Amassada de Nantes (celle de Bretagne) et de Toulouse, des gens en lutte contre le glyphosate, des personnes venues alerter sur la méga-décharge de Decazeville… Il y aussi TNE (Collectif Toutes Nos Énergies) qui distribue son Détoccigène, version détournée du magazine Occigène, organe de propagande pro-expansion énergétique de la Région Occitanie et de ses parcs naturels. On y apprend la récurrence des dérogations préfectorales accordées aux promoteurs éoliens pour déroger à la destruction “d’habitat d’espèces protégées voir menacées” ou pour passer, en Lozère, une tranchée de 20 km à travers “ruisseaux et zones humides”. Détoccigène ironise : “décidément le plan de bataille pour la pérennité de l’or bleu n’est pas encore tout à fait au point”. Les digestats liquides des méthaniseurs polluent les eaux souterraines de Gramat. L’économie verte de la couleur des dollars n’est que le régime d’exception administratif le plus avancé de toute l’économie capitaliste ! Partout il faut multiplier sans fin les ressources en énergie pour excaver les sols, pour remplacer nos gestes, pour capturer de la donnée, pour sécuriser la spéculation. Y a toujours pas les flics habituels aux grilles, alors on prend le parvis du tribunal, à l’ombre fraîche des cèdres du Liban, c’est beaucoup plus agréable pour danser sur la Talvera.

Voyant l’heure avancer (16h30) et la première affaire monopoliser la cour, nous décidons de nous organiser pour rester. La bouffe c’est toujours la première des questions révolutionnaires. Les GJ ont l’habitude, une équipe part chercher le barbecue, une autre les saucisses et du vin. Des légumes sont achetés pour faire une soupe. “On est là, on est là, même si RTE ne veut pas, nous on est là, contre le transformateur et pour un monde meilleur…” Beauté de la présence, de la pure et simple présence. La sono des GJ passe en mode boum. Dernière pause d’audience pour les inculpé·es qui prennent un dernier souffle de force collective.

Une inculpée raconte

D’abord, la longue attente pendant le premier procès, de 14h à 18h, avec les juges qui se retirent à deux reprises pour statuer sur les demandes de nullités qui seront finalement balayées. Quatre heures tendues à assister à un procès qui n’est pas le nôtre, la boule au ventre en voyant la proc’ et les juges s’énerver vigoureusement sur la partie de la défense. On s’inquiète de savoir si dehors il n’y a pas de lassitude, si tout le monde est encore là… Encore une grosse demi-heure de pause.

18h c’est enfin à nous de passer à la casserole. Le juge lit les deux pages d’inculpation du premier prévenu, puis les mêmes deux pages pour la deuxième prévenue, et encore pour les troisième et quatrième. La scène relève du théâtre de l’absurde :

– le juge (toujours la même litanie) ;

– dehors, les copains chantent : “RTE, dégage de notre paysage…”.

La chanson se mêle harmonieusement à la lecture du juge, particulièrement quand celui-ci est obligé de reprendre les dix lignes d’insultes aux flics.

Notre avocat plaide à son tour la nullité, en pointant les nombreux travers du dossier, relativement vide du côté de l’accusation, les seules “preuves” résidant dans les déclarations des gendarmes, dont pas un n’est présent dans la salle. Ça fait de la présence hostile en moins, la salle est pleine et toute acquise à la cause. Après l’exposé des multiples points problématiques (dépositions enregistrées en même temps, nombreux copiés-collés, problèmes dans les énoncés des convocations…) les juges se retirent pour étudier la demande de nullité.

L’attente et la frustration

Encore une demi-heure… la cour revient dans le tribunal. Nous sortons souffler, les soutiens sont toujours là et vaillants puisqu’un repas est en train d’être préparé. À notre retour dans l’audience, c’est la surprise, la demande n’est ni balayée, ni accordée, la cour demande un délai pour statuer… elle rendra sa réponse le 22 avril. Si nullité il y a nous serons relaxé·es, dans le cas contraire nous serons jugé·es le 10 juin. Nous sommes partagé·es entre soulagement et frustration.

Soulagement parce qu’il est 19h30 et que partir pour trois heures de procès n’aurait pas été en notre faveur à cause de la fatigue accumulée.

Soulagé·es parce qu’il y a suffisamment de matière pour titiller la nullité. Frustration, parce que nous étions prêt·es et que nous avions envie de défendre à la barre la noblesse de notre combat. Nos “grands” témoins aussi étaient chauds, et nous sommes aussi frustré·es de ne pas pouvoir les entendre. Heureusement que Christophe Bonneuil a pu faire une conférence la veille. Aussi bien nous repartirons les coudes serrés à Rodez le 10 juin. Peut-être pour ramasser, mais avec la tête haute !

D’ici là, on a obtenu l’allègement du contrôle judiciaire, on ne doit plus pointer au comico, mais on est toujours interdit·es de Saint-Victor et Melvieu.

La lutte continue

Mais nous ne nous laisserons pas intimider, les idées ne manquent pas, ni la détermination pour les mener à bien. Nous continuerons avec toutes celles et ceux qui le veulent, à agir pour dénoncer la farce destructrice de la transition écologique !

Nous avons déjà prévu une marche du vent à la fin des vacances d’été, qui viendra renouveler la fête du vent de ces cinq dernières années, habituellement organisée en septembre !

Pas res nos arresta !

L’Amassada


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