Interventions de l’Émancipation au CDFN de la FSU du 5 mai 2020
Le Conseil Délibératif Fédéral National est l’instance délibérative chargée de définir les mandats de la FSU en dehors des congrès. Vous trouverez dans les pages suivantes quelques points de vue et propositions portés par Émancipation tendance intersyndicale dans la période.
La nouvelle cacophonie gouvernementale sur le déconfinement et la réouverture des établissements scolaires à partir du 11 mai montre que le gouvernement conserve le cap en matière de priorisation de l’économie mais tire des bords en ce qui concerne la question sanitaire. Après les annonces de Blanquer contredites par Macron au sujet de la fermeture des établissements, c’est Macron qui surprend Blanquer et le somme de rouvrir les établissements sans plan de mise en oeuvre.
La Rectrice de l’académie d’Orléans-Tours parle du 11 mai comme d’une “date cible” et de discussions avec tou·tes les interlocuteur·trices concerné·es là où les écoles seront rouvertes. Elle traduit ainsi la volonté pour les autorités de partager les responsabilités de cette reprise correspondant à un calendrier compatible avec les exigences du MEDEF mais ne s’appuie sur aucun scénario scientifique de déconfinement visant à minimiser le nombre de mort·es.
Une décision de la seule responsabilité gouvernementale
Dans ce contexte, la FSU doit clairement se démarquer et prioriser la question sanitaire. La responsabilité syndicale dépasse la responsabilité vis-à-vis des usager·es et des personnels enseignants, de vie scolaire, administratifs et techniques, elle se porte à l’échelle de la société entière si on considère que d’après une étude de l’INSERM et une de l’institut Pasteur, l’école est un lieu important de contamination et que le maintien de la fermeture des écoles jusqu’à ce qu’une stratégie de dépistage systématique, repérage et isolement puisse être mise en oeuvre, réduirait de 40 % le pic de l’épidémie. La baisse du nombre de cas nécessaire pour mettre en oeuvre cette stratégie pourrait être atteinte fin mai/début juin selon cette étude et sous réserve d’avoir suffisamment de tests pour faire des dépistages réguliers et suffisamment de moyens pour repérer et isoler les personnes infectées et leurs contacts. Si des réserves peuvent être émises sur la validité des modèles permettant d’aboutir à ces prévisions, il n’y en a aucune à émettre sur l’impossibilité d’atteindre de telles conditions le 11 mai et sur le choix du gouvernement de privilégier la “cobayisation” sur le principe de précaution. Cette impossibilité est d’autant plus évidente que le matériel de désinfection de certains établissements a été donné à des hôpitaux ou que la quantité de matériel de protection alloué au secteur éducatif pourrait en aggraver le manque dans le secteur de la santé.
Quelles conditions pour une reprise ?
C’est aux personnels et à leurs syndicats, à partir de leur expertise de terrain, de définir les conditions de reprise. Au vu des arguments exposés ci-dessus et du calendrier, il faut considérer le bénéfice/ risque d’une ouverture avant la rentrée de septembre et penser à une réorganisation de la scolarisation. Une réouverture dans des conditions sanitaires acceptables est en effet incompatible avec les politiques éducatives successives qui ont abouti à des classes surchargées et à l’éclatement du groupe classe. De plus, quel serait le bénéfice pédagogique d’une reprise pour quelques semaines au regard de la dégradation sanitaire ?
Si le gouvernement persiste à vouloir rouvrir les établissements avant que les conditions sanitaires soient réunies, le recours au droit de retrait doit être collectivement porté et un préavis de grève déposé. Ces autres formes de mesures de protection doivent primer sur la menace de responsabilisation des autorités comme le recours au Registre Santé et Sécurité au Travail. La démarche de reconnaissance de l’infection au coronavirus comme maladie professionnelle doit également être portée par la fédération. Les personnels ayant contracté la maladie doivent pouvoir être indemnisé·es alors qu’en l’état actuel de la connaissance du virus, des séquelles neurologiques, entre autres, sont redoutées.
L’alibi des élèves en difficulté
Parmi les arguments pour une réouverture rapide des établissements, le gouvernement a évoqué la nécessité de rompre l’isolement des élèves en difficulté et/ou “socialement défavorisé·es”. Ce n’est pas quelques semaines de cours supplémentaires et encore moins la possibilité de contracter la maladie qui sortiront les élèves et leurs familles des difficultés. C’est même le contraire si on considère que les inégalités scolaires recoupent bien souvent les inégalités d’accès aux soins. La scolarisation de ces seul·es ferait davantage d’elles et eux des cobayes que des personnes dont les difficultés seraient enfin considérées. L’obligation scolaire doit être la même pour toutes et tous ! Une nouvelle intervention du gouvernement jeudi 23 avril affirme que le retour en classe se ferait sur la base du volontariat, qui sera plus liée à la pression de l’employeur des parents qu’à une réelle volonté d’emmener les enfants à l’école. Ce “volontariat” disloque l’idée même d’une école publique obligatoire. On peut aisément penser que les parents qui peuvent déjà télétravailler garderont leurs enfants pour éviter le risque de contamination, quand ceux et celles qui doivent se rendre au travail seront obligé·es d’envoyer les leurs à l’école, faisant se cumuler pour ces familles toutes les difficultés. La résolution de ces problématiques ne passera pas par l’exposition des élèves et l’héroïsation ou la culpabilisation des personnels mais par la reconstruction des Services publics et notamment du secteur Social liquidé par les politiques successives de ces dernières années. L’évocation du confinement comme facteur supplémentaire de violences conjugales ou intra-familiales relève de la même instrumentalisation alors même que les moyens nécessaires à la prise en charge de ces problèmes n’ont pas été débloqués.
Reprendre le chemin des luttes
Pour obtenir cette reconstruction des Services publics à laquelle il faudra ajouter une réflexion en termes de gouvernance tant leurs destructions ont été permises notamment par une intégration progressive et décisive de l’État dans la gestion de la Sécurité sociale, la FSU doit le plus rapidement possible réfléchir aux conditions de redémarrage du mouvement social. Elle doit notamment entamer une campagne contre les mesures qui, sous couvert de répondre à la crise sanitaire, préparent les conditions d’un contrôle généralisé du mouvement social. La FSU doit prendre clairement position contre le tracking par téléphone portable qui ne peut pas respecter en dernière analyse le principe d’anonymat et ne peut garantir la non utilisation, ultérieurement, des données collectées.
Si on considère que les conditions d’une crise économique plus profonde encore que la crise de 2008 étaient déjà réunies depuis plusieurs mois et que l’on peut attribuer l’émergence et la propagation du virus au mode de production alimentaire et aux modes de circulations des biens et des personnes, on peut dire que les responsables de la crise sanitaire et économique tentent de nous faire payer la crise en sacrifiant des vies.
Nous ne devons pas payer la crise sanitaire et économique et encore moins de nos vies ! Cette crise est l’occasion pour la FSU de renouer avec une perspective anticapitaliste.
Émancipation tendance intersyndicale,
le 28 avril 2020
Femmes en première ligne
Les femmes sont en première ligne dans cette crise, de par l’emploi qu’elles occupent dans les métiers de la santé, des soins, d’accompagnement, des services, ou encore de contact avec le public. Elles sont celles qui, de manière générale, prennent soin des autres et cette crise sanitaire met en avant tous ces métiers, qui par ailleurs sont souvent dévalorisés. La crise renforce les inégalités de classe et de genre et il est nécessaire, de notre côté, de renforcer et d’accélerer les revendications sur les conditions de travail, la revalorisation salariale et sur les emplois fortement féminisés.
Avec la crise, les femmes – infirmières, ATSEM, caissières, aides-soignantes, agentes d’entretien, travailleuses sociales… – ont été les premières à devoir se confronter au virus sans les protections nécessaires, avec des cadences de travail décuplées (moins de temps de pause, fatigue nerveuse, peur de ramener le virus dans les foyers, impossibilité de “penser à autre chose” une fois le travail fini…), et le tout dans le contexte de politiques qui, depuis des années maintenant, n’ont eu de cesse de casser les services publics, rogner sur les budgets, supprimer des postes dans ces mêmes professions. Ces conditions de travail exigent des moyens de protection forts. Or, l’exercice du droit de retrait, ou le droit de grève, dans ces secteurs très féminisés, sont particulièrement difficiles : il s’agit de secteurs où les femmes prennent soin des autres, et souvent, l’idée même de se mettre en grève génère une forme de culpabilité, voire un tabou. C’est pourquoi il incombe aux organisations syndicales de faire sauter le verrou de cette culpabilité, que les femmes et travailleuses connaissent trop souvent, en informant les travailleuses de leurs droits, en les accompagnant dans leurs luttes et démarches, en produisant des outils d’information, et surtout en exigeant du gouvernement les mesures de sécurité et de protections nécessaires.
Il est également nécessaire de continuer à construire la grève féministe, revendication qui prend de plus en plus d’ampleur en France mais ausi partout dans le monde. Les derniers mois ont vu une croissance du mouvement féministe aussi bien pour dénoncer les violences faites aux femmes (journée du 25 novembre) que sur la lutte contre la réforme des retraites, ou encore le 8 mars. La FSU doit renforcer sa participation au mouvement en étant pleinement impliquée, et porter et contribuer à construire la grève féministe en lien avec les femmes et minorités de genre qui luttent.