Émancipation


tendance intersyndicale

Rencontre d’été

Avec J-Yves Vlahovic, auteur de Afrique, que fais-tu de tes jeunes ? Alassane, Lauric, Aminata et les autres.

L’émancipation : Tu es instituteur désobéisseur en Loire-Atlantique, aujourd’hui retraité, qu’est-ce qui a été déclencheur de l’écriture de ce livre ?

J-Yves Vlahovic : J’ai rejoint le réseau Éducation sans frontières, dès l’année de sa création, en 2006. C’est dans ce cadre que j’ai d’abord soutenu des familles étrangères. À partir de 2012, indigné par les conditions d’accueil faites aux mineurs isolés étrangers, je me suis engagé pour la reconnaissance de leurs droits, j’ai été et suis “hébergeur”. Écrire un livre fait partie de cette bataille au quotidien : c’est à la fois une forme d’hommage au courage de ces jeunes et une libération.

L’émancipation : As-tu rencontré des difficultés pour écrire ?

J-Y. V. : Au début, je voulais écrire un livre traitant de tout : les causes du départ, le voyage et l’accueil, ou l’absence d’accueil de ces enfants à Nantes. Mais cela était trop énorme, du coup je me suis centré sur le “avant” l’arrivée à Nantes en donnant la parole à trente jeunes, venant de Mauritanie, du Congo et Congo Brazaville, de Guinée, de Côte-d’Ivoire, d’Angola, du Cameroun. Ce sont des récits qu’ils/elles ont eux/elles-même dits ou écrits et je donne des éléments de contextualisation (historique, géographique, politique) afin de mieux comprendre ce qui pousse ces jeunes à risquer leur vie pour venir en France, dont ils et elles connaissent souvent la langue ! Ces textes explicatifs éclairent les récits.

L’émancipation : Oui, cette dimension “pédagogique” est très intéressante, et les récits sont très forts, presque tous les jeunes disent être orphelin·es… comment l’expliquer ?

J-Y. V. : En effet, celles et ceux qui partent le font car ils/elles sont dans des situations familiales dramatiques : ils/elles sont nombreux·euses à avoir perdu leur père ou leur mère dans des conflits armés, dans des guerres, il y a aussi des causes de santé, cachées aux enfants, du coup, ces enfants se trouvent mis en garde dans la parentèle où les traditions pèsent lourdement donnant lieu à des inégalités insupportables entre enfants, entre épouses (mauvais traitements en tous genres, empêchement d’aller à l’école…). Toutes et tous disent leur immense soif d’éducation, d’émancipation.

L’émancipation : Pourquoi ce titre ?

J-Y. V. : C’est l’éditeur, qui a tout de suite pris le manuscrit, même si après il faut être autonome pour les relectures, la mise en page, qui a proposé d’inverser titre et sous-titre, et je souhaitais mettre en lumière les responsabilités des différents États Africains par rapport à leur jeunesse. Citons Tiken Jah Fakoly qui disait déjà le 28 novembre 2015 : “le changement de l’Afrique ne viendra que des Africains […] après l’esclavage, la colonisation, le combat pour la démocratie a commencé ; le plus important c’est de mettre les enfants à l’école […] ce continent a toutes les chances, personne ne viendra changer la situation à notre place”. Puisse-t-il être entendu !

L’émancipation : Quels projets à présent ?

J-Y. V. : Évidemment, continuer l’aide et le soutien au quotidien, et aussi l’écriture du second volume, avec une parution prévue en 2020, consacré à l’accueil de ces jeunes à Nantes, en partant encore de leurs récits, avec un chapitre par institutions, l’objectif est de mettre en lumière de manière précise le grand écart permanent et croissant entre les missions et les réalités rencontrées par ces jeunes, une véritable tartufferie, d’ailleurs j’envisage d’emprunter le titre à Molière : “cachez ces jeunes que je ne saurai voir”. Une situation inacceptable, on ne lâchera pas !

Entretien réalisé par Emmanuelle

Afrique, que fais-tu de tes jeunes ? Alassane, Lauric, Aminata et les autres, J-Yves Vlahovic, édition L’Harmattan, 2019, 232 pages, 23,5 e.

À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12e, 01 44 68 04 18, didier.mainchin@gmail.com)


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