Les syndicats maîtrisent-ils la démarche scientifique ?

Covid19 à l’école : 

Peu avant les vacances de Noël 2021, la direction du SNUipp-FSU, principal syndicat enseignant dans les écoles maternelles et élémentaires publiait deux communiqués proposant d’autres solutions à celles mises en place par le gouvernement dans le cadre de la gestion du covid19 dans les écoles. Si certaines positions avancées par le syndicat sont justes, d’autres interrogent… Au-delà, c’est la question même de la maîtrise de la démarche scientifique par les syndicats qui est posée.

Un biais dans les données utilisées

  • Définition des différents taux
    • Taux de cas positifs = nombre de cas positifs à un test pour 100 000 habitants. Ce taux n’est pas un paramètre mesuré directement dans une population. Il est obtenu en multipliant deux mesures : le taux de dépistage par le taux de positivité.
    • Taux de dépistage = nombre de tests effectués pour 100 000 habitants.
    • Taux de positivité des tests (appelé aussi “proportion de tests positifs”) = nombre de tests positifs pour 100 tests effectués (en %).

Dans son communiqué du 9 décembre 2021, la direction du SNUipp s’alarme d’une “propagation dramatique de l’épidémie dans les écoles”. Pour cela elle s’appuie sur l’évolution d’un seul jeu de données : le nombre de cas positifs pour 100 000 élèves testés parmi les 6-10 ans (taux de cas positifs appelé aussi “taux d’incidence”), qui “a augmenté de 827 %” depuis les vacances de la Toussaint 1.

Or utiliser ce taux comme indicateur de l’évolution d’une épidémie comporte un énorme biais du fait de son expression même : taux de cas positifs (“taux d’incidence”) = taux de dépistage (“taux de positivité des tests”). Donc, une augmentation du taux de cas positifs peut être due, mathématiquement à une augmentation du taux de dépistage et/ou à une augmentation du taux de positivité des tests (et donc au taux d’infection, en première approche 2). Donc oui, comme l’indique le SNUipp, entre le 8 novembre et le 2 décembre, le taux de cas positifs (“taux d’incidence”) a augmenté de 827  %, mais en parallèle le taux de dépistage des 6-10 ans a augmenté de… 1224 % ! Que peut-on conclure ? Une chose est sûre : on ne peut rien conclure d’après le seul taux de cas positifs. Et même avec les trois paramètres (taux de cas positifs, de dépistage et de positivité des tests), les interprétations sont difficiles (par exemple pour un même taux de dépistage, un dépistage aléatoire d’une population et un dépistage des seuls malades ne donneront pas le même taux de cas positifs).

De gauche à droite : taux de cas positifs, taux de dépistage et taux de positivité des tests 3

Une confusion entre cas positifs et malades

En se focalisant sur le taux d’élèves positifs à un test Covid19, le SNUipp évacue en outre complètement le taux de malades, ce qui, lorsque l’on s’intéresse à la santé des enfants, est… étrange. De fait, un élève dont le test est positif n’est pas forcément malade : il peut être sain (non porteur du virus) ou infecté (porteur du virus), voire guéri et porteur de fragments de virus. Et s’il est infecté il peut être asymptomatique (il ne développera aucun symptôme), présymptomatique (il ne présente pas de symptôme au moment du test mais en développera peu après) ou symptomatique (c’est-à-dire malade).

Ne serait-il pas beaucoup plus rigoureux que le SNUipp fonde son analyse épidémique sur le nombre de malades ? Ou, tout au moins, le syndicat devrait-il fournir l’ensemble des données (taux de décès, d’hospitalisations, de malades, de cas positifs, de dépistage, de positivité des tests) et non seulement un suivi du taux de cas positifs.

Si l’on compare par exemple les taux de malades vus en médecine générale et les taux de cas positifs, l’écart est vertigineux. Ainsi, entre le 8 novembre et le 2 décembre, le taux d’infections respiratoires aiguës liées au covid vues en médecine générale passe, tous âges confondus, de 10 à 32 pour 100 000 habitants (tandis que le nombre de tests positifs passe de 94 à 414 pour 100 000 habitants) et pour les 0-14 ans de 1 à 12 pour 100 000 (tandis que le nombre de tests positifs passe de 80 à 580 pour 100 000) 4.

  • La différence entre le taux d’enfants testés positifs et le taux d’enfants présentant une infection respiratoire aiguë peut en partie être expliquée par les porteurs asymptomatiques et le mode de dépistage :
    • Cas asymptomatiques : si les tests sont aléatoires dans les écoles, près de la moitié des enfants infectés et testés positifs seront asymptomatiques et susceptibles de ne pas transmettre le virus. C’est ce que montre la littérature scientifique publiée jusqu’alors : il y aurait 47 % d’asymptomatiques parmi les enfants infectés (un pourcentage plus fort que pour l’ensemble de la population, estimé entre 15 et 30 % 5. Et chez les asymptomatiques, la transmission du virus est faible (voire nulle dans certaine études 6.
    • Mode de dépistage : les tests présentent une sensibilité et une spécificité qui n’atteignent jamais 100 %. Pour les tests salivaires RT-PCR, utilisés alors pour les 6-10 ans, la sensibilité est de 85 % et la spécificité (hypothétique 7) de 99 % : il y a 85 % de chance de détecter le virus s’il est présent (15 % de ne pas le détecter) et 99 % de chance de ne pas détecter le virus s’il n’est pas présent (1 % d’être positif alors qu’on n’est pas infecté). Donc pour une prévalence de 100 infectés pour 10 000 élèves testés au hasard, 85 infectés et 1 % sains seront testés positifs. Si on fait un dépistage plus ciblé (fondé par exemple sur des cas symptomatiques), la prévalence augmente, et les proportions de positifs varient : pour 1000 infectés pour 10 000 élèves testés, 850 infectés et 90 sains seront testés positifs. La proportion d’élèves positifs et sains diminue donc quand l’on teste des classes avec un fort nombre d’infectés malades.

Cette différence est en partie due à la forte présence de porteurs asymptomatiques et à la façon dont sont menés les dépistages (aléatoires ou ciblés – voir encadré). 

Nombre d’IRA (Infections Respiratoires Aigües) vus en médecine générale pour 100 000 habitants (gauche : toute IRA confondues ; haut droite : IRA de type Covid ; bas droite : pour les 0-14 ans, rectangles=toutes IRA confondues pour 100 000 enfants et points = pourcentage d’IRA de type Covid).

Un soutien au “Conseil scientifique” de Macron

Outre cette utilisation du seul taux de cas positifs au Covid19, comme paramètre qui permettrait de brosser un état des lieux de l’épidémie dans les écoles, le SNUipp explique : “Si les élèves étaient testés toutes les semaines, cela permettrait de casser les chaînes de contamination, en isolant précocement les cas positifs, souvent asymptomatiques”. À nouveau, une telle assertion interpelle : est-il du rôle des syndicats de soutenir la position de certains scientifiques dans le cadre d’un débat entre scientifiques qui n’a pas été tranché ? En effet, le SNUipp établit une relation de cause à effet (les tests systématiques dans les écoles permettraient de casser les chaînes de contamination) pour laquelle il n’y a aucun consensus scientifique. Au contraire, le consensus qui semble se dégager (sur la base d’articles robustes) irait plutôt dans le sens d’une absence de rôle moteur de l’école dans la propagation virale 8. Et la nécessité de laisser circuler, ou non, le virus parmi les enfants et d’isoler, ou non, les cas positifs obtenus dans des campagnes systématiques dans les écoles, est encore débattue.

De plus, étonnement, pour justifier cette prise de partie dans le débat scientifique, le SNUipp s’appuie ouvertement, dans ses communiqués, sur le “Conseil scientifique” qui a préconisé cette politique de prévention systématique des infections chez les enfants. Qu’une telle politique soit pertinente ou non, comment ne pas s’interroger lorsqu’un syndicat s’appuie sur une instance, le “Conseil scientifique”, mise en place par… Macron ? En outre, ce “Conseil scientifique” n’a rien de scientifique : il ne représente absolument pas la diversité des recherches en cours sur le Covid, ni des débats. De par son processus de nomination, il est orienté politiquement (avec nomination du président du conseil par Macron) et en partie sous influence directe de l’industrie pharmaceutique : on peut par exemple citer les plus de 130 000 euros reçus, en nature ou en espèces, par Yazdan Yazdanpanah, grand promoteur du Remdesivir (médicament à l’origine d’un scandale).

Des revendications sans état des lieux préalable

À juste titre, le SNUipp souligne que c’est une logique économique qui gouverne la politique de Blanquer à l’école : ne pas fermer les écoles pour que les salariés puissent continuer à travailler et à être exploités (l’école comme garderie…). Et il est logique qu’un syndicat enseignant aspire à ce que tout soit fait pour que les écoles et classes restent ouvertes, dans les meilleures conditions possibles.

Les exigences des syndicats doivent être celles de la défense du statut et des conditions de travail des enseignants (et par conséquent des élèves) ce qui nécessite un état des lieux d’une situation sanitaire total et non partiel. Lorsqu’elles concernent du matériel et des infrastructures, les exigences faisant suite à un état des lieux sont simples à formuler (comme la définition d’un nombre maximal d’élèves par classe, d’un nombre minimal de fenêtres qui s’ouvrent, d’un espace minimal par élève et par classe, dans les préaux et cantine…). De même en est-il des moyens humains (recrutement de personnel statutaire…). Mais lorsqu’elles s’appliquent à des personnes, les exigences sont de deux types : soit elles s’appliquent à l’ensemble du personnel (et/ou des élèves) soit seulement à certains, en fonction du degré de vulnérabilité.

Qu’en est-il concernant le Covid19 ? Doit-on aujourd’hui formuler des revendications qui s’appliquent à tous les personnels et élèves sans discernement ou seulement aux plus vulnérables (comme c’est le cas par exemple pour le droit à des mi-temps thérapeutiques) ? Le SNUipp évacue complètement cette question. Or, dans le cas d’une maladie, cette question est primordiale.

En près de deux ans, les connaissances sur le Covid19 ont évolué et les risques sont beaucoup mieux cernés. Des revendications s’appliquant à des personnes (port du masque, tests…), de façon collective ou individuelle, ne peuvent être prises sans une mise à jour régulière de certaines données : combien de personnel éducatif a été malade (et donc est en grande partie immunisé) ? Combien de personnel est décédé de la maladie, combien a été malade sans séquelles, combien a encore des séquelles (durée des séquelles et suite à une infection avec quel variant) ? De même pour les élèves. En près de deux ans, aucun état des lieux n’a été mené par le syndicat. Pourquoi ?

Laure Jinquot

(à suivre dans le prochain numéro https://emancipation.fr/la-revue/numero-7-mars-2022/les-directions-syndicales-maitrisent-elles-la-demarche-scientifique-2nde-partie/)

  1. Communiqué SNUipp du 9 décembre : Contaminations à l’école : les intox du ministre.
    L’autre communiqué date du 13 décembre : La flambée continue. ↩︎
  2. Le taux de positivité des tests n’est pas une mesure sûre du taux d’infection. Par exemple si l’on teste peu, ce sont généralement des personnes symptomatiques (malades) qui sont testées. Mais, si pour une même circulation virale, on teste beaucoup, la proportion de personnes testées sans avoir de symptômes (infectées ou non) augmente, donc le taux de positivité diminue. ↩︎
  3. Covidtracker (page CovidExplorer) : d’après les données de Santé publique France. ↩︎
  4. Bulletins hebdomadaires du Réseau Sentinelles et note 3. ↩︎
  5. Pratah Sah et al., août 2021, PNAS. ↩︎
  6. Voir par exemples : Peng Wu et al., mars 2021, Clinical Infectious Diseases ; Fang Li et al., janvier 2021, The Lancet ; la revue de Xueting Qui et al., janvier 2021, Clinical Microbiology Infection pour des transmissions faibles par les asymptomatiques. Voir par exemple : Jazmin Daniells et al. Juillet 2020, Communicable Diseases Intelligence ; Ming Gao et al., mai 2020, Respiratory Medicine pour des transmissions nulles par les asymptomatiques. Pour la transmission, ou non, par les présymptomatiques, la littérature ne montre pas de consensus scientifique. ↩︎
  7. La Haute Autorité de Santé a fait une méta-analyse des données disponibles sur les tests salivaires RT-PCR pour savoir si elle donnait son accord à leur utilisation en France (Méta-analyse de l’intérêt diagnostique des tests RT-PCR salivaires de détection du SARSCoV-2, 10/02/2021). Cette méta-analyse n’étudie que la sensibilité de ces tests (bien que certains articles utilisés dans la méta-analyse donnent des valeurs de spécificité). ↩︎
  8. Voir par ex : Ismail S, The Lancet, 8/12/2020 ; Zimmerman K, Pediatrics, 01/04/2021 ; Falk A, MMWR, 29/01/2021 ↩︎