Après le 13 janvier, quelles suites ?

Jeudi 13 janvier : la grève que personne – y compris dans les milieux militants radicaux et de lutte – n’avait vu venir… a eu un retentissement certain, mais pose aussi de nombreuses questions au syndicalisme : quel rôle jouer dans un mouvement parti de la base, quels prolongements lui donner, etc. Ci-dessous, un texte des élu·es Émancipation à la CA nationale du SNES de janvier 2022, qui a abondamment traité ces questions.

La situation de l’éducation, et plus largement la situation politique et sociale, impose au syndicalisme de ne pas suivre passivement le calendrier électoral, ni de s’en remettre à une hypothétique alternance électorale “de gauche”.

La grève très importante du jeudi 13 janvier montre à la fois les potentialités d’action, mais aussi les urgences pour le syndicalisme.

Un caractère exemplaire

La mobilisation du 13 janvier des personnels (de toutes catégories et de tous niveaux d’enseignement), mais aussi de parents d’élèves et de jeunes, possède un caractère exemplaire sur plusieurs points.

Une mobilisation partie de la base : en cette rentrée 2022, les changements incessants de protocole sanitaire, tout comme le refus du pouvoir de satisfaire la moindre revendication en termes d’effectifs, de postes, d’équipements sanitaires, d’aménagements des épreuves de spécialité… ont provoqué la légitime colère des personnels. Celle-ci a fini par s’exprimer par un appel à la grève intersyndical, grève très réussie malgré le peu de temps pour sa préparation. Cela montre que des potentialités de lutte existent chez les personnels. L’implication massive des AESH et des personnels de Vie Scolaire, en majorité précaires (AED), dans de nombreux établissements a montré aussi que leur mobilisation est possible, dans le prolongement de leurs actions de ces deux dernières années.

Une mobilisation dirigée contre la politique de Blanquer et Macron : si certains médias et discours gouvernementaux ont mis en avant la question des variations incohérentes et désorganisatrices du protocole sanitaire, c’est l’ensemble de la politique de ce pouvoir qui a été mise en cause le 13 janvier.

Politique sanitaire : depuis plus d’un an et demi, le gouvernement refuse d’engager sérieusement l’équipement en matériel susceptible de limiter la contagion du Covid dans les écoles et établissements (masques protecteurs pour les personnels et les élèves, aérateurs et capteurs de CO2). Ces protocoles prétendus nationaux renvoient en fait les établissements à eux-mêmes à chaque difficulté. Leurs dernières modifications visent à casser le thermomètre et à laisser de fait circuler le virus, pour opérer un affichage d’“école ouverte” dans un but électoraliste. Alors qu’en réalité, depuis décembre aucun cours ne peut se passer avec l’intégralité de la classe dans la plupart des établissements.

Politique autoritaire : de manière encore plus accentuée depuis le début de la crise sanitaire ce même gouvernement contourne ou affaiblit les droits des personnels ainsi que leur liberté pédagogique notamment avec des pressions pour développer les enseignements « hybride » et distanciel, le remplacement en interne, etc.

Politique de casse de l’école publique : les différentes contre-réformes se sont enchaînées depuis l’arrivée au pouvoir de Macron dans tous les niveaux du système éducatif, les plus récentes étant la quasi-liquidation du bac national et l’avancée vers la création d’un statut de directeur d’école dans le premier degré. Elles se sont accompagnées de suppressions de postes et de la précarisation des personnels, générant notamment des difficultés et inégalités d’apprentissage accrues, une hausse des effectifs par classe, une pression de l’évaluation continue sur les élèves et les enseignant·es etc. Elles ont provoqué une sélection sociale et de genre renforcée, la souffrance chez les personnels comme chez les élèves. Si la crise sanitaire a rendu encore plus aiguës ces régressions, elles résultent d’une politique éducative globale qui lui pré-existait.

La réussite de la grève du 13 janvier montre que dès lors que le syndicalisme propose une échéance qui apparaît comme une réponse à la colère qui existe chez les personnels, ces dernier·es peuvent s’en saisir. La grève du 13 janvier a ébranlé une politique gouvernementale que les personnels veulent combattre depuis plusieurs années.

Pour autant, cette journée de grève ne sera pas suffisante en elle-même.

Une non-réponse aux revendications

La colère des personnels a forcé le gouvernement à faire des annonces. Pour autant, celui-ci ne répond pas aux revendications :

  • – les engagements sur les revendications sanitaires restent hypothétiques voire dilatoires (question des aérateurs renvoyée aux collectivités locales, au lieu d’engagement concret) ;
  • – les engagements sur les postes et conditions de travail : hormis quelques centaines – très inférieurs aux besoins les plus urgents – de recrutements sur listes complémentaires dans le premier degré, la seule réponse est le recrutement de personnels sous statut précaire, et même dans ce cas en nombre totalement insuffisant pour faire face de façon significative aux besoins (1500 AED pour 10 700 collèges et lycées !) ;
  • – les engagements sur les questions pédagogiques : à l’heure actuelle, rien ne garantit que le report des épreuves de spécialités au mois de juin, massivement revendiqué par les enseignant·es de lycée et leurs associations, soit effectif. Le ministère pourrait même faire le choix d’approfondir le caractère local d’une épreuve censée demeurer nationale, ou procéder à des bricolages qui ne trompent personne.

La CAN du SNES condamne l’attitude du ministère et du Premier ministre, qui lors de la rencontre avec les organisations, ont refusé d’admettre la présence d’organisations lycéennes : ce n’est pas au pouvoir de choisir ses interlocuteurs. La CAN du SNES déplore le fait que plusieurs organisations syndicales dont la FSU se soient de fait désolidarisées des organisations lycéennes et de la FCPE à cette occasion.

Le cadre unitaire des organisations ne donne pas de suite à la hauteur à la puissante mobilisation :

  • – aucun appel à construire et poursuivre la mobilisation sur le terrain, malgré les attentes des personnels ;
  • – aucun appel à s’appuyer sur la construction de l’action à la base et l’auto-organisation (AG d’établissements, inter-établissements, coordinations), alors que dans plusieurs départements ces phénomènes existaient.

Des perspectives de mobilisation

Il est donc urgent de donner des perspectives de mobilisations pour les personnels, les jeunes et les parents.

Sur une plateforme revendicative unifiante :

  • – embauche massive de personnels de vie scolaire, et administratifs titulaires ou titularisé·es en fin d’année scolaire ;
  • – embauche massive d’enseignant·es titulaires ou titularisé·es en fin d’année scolaire ;
  • – report des épreuves de spécialité de Terminale en juin ; cela constituerait le premier pas vers le retour à un bac national anonyme composé d’épreuves terminales en juin, et donc l’abrogation de Parcoursup et de la contre-réforme des lycées et du bac ;
  • – rattrapage des pertes salariales dues au gel du point d’indice, ce qui aurait pour effet d’augmenter les recrutements d’enseignant·es et permettrait ainsi d’alléger les effectifs dans les classes.

La CAN du SNES appelle les personnels à se réunir en Assemblées générales partout pour exprimer les revendications et décider d’actions. Elle propose de s’appuyer sur les appels à la grève du jeudi 20 janvier pour tenir et coordonner ces Assemblées générales. Elle propose que la FSU prenne contact avec les organisations qui sont d’accord pour continuer l’action sur ces bases (grève, manifestation nationale, etc.) en vue d’amplifier l’appel à la grève du 27 janvier dans la perspective de la grève jusqu’à satisfaction des revendications.

Marine Bignon, Quentin Dauphiné, Serge da Silva, Karine Prévot,le 18 janvier 2022