Argumentaire contre la signature de l’accord PSC

Dans cette période de crise sanitaire et de mobilisations pour que des réponses fortes, adaptées et cohérentes y soient enfin apportées (Santé, Ecole, bibliothèques…), la question de la réforme de la protection sociale complémentaire (PSC) dans la Fonction publique (FP) peut apparaître décalée.

Pourtant c’est le 26 janvier, dernière limite, que les directions syndicales de la Fonction publique sont invitées à signer le projet d’accord sur la réforme de la PSC. Macron veut une signature majoritaire pour donner à croire au cours de sa campagne qu’il ne méprise pas les syndicats et œuvre à la paix sociale contrairement à ce que ne cessent de dénoncer ces derniers. Mais surtout, si cet accord était validé, ce serait avec l’aval des syndicats, qu’après avoir été bloqué sur les retraites par les luttes syndicales, il relancerait son offensive contre la protection sociale. En effet, constant dans sa soumission aux intérêts du capitalisme, il a en ligne de mire, avec les projets type “grande sécu” ou cinquième branche, la Sécurité sociale, qu’il pense avoir suffisamment fragilisée financièrement par sa gestion de la crise sanitaire et sociale pour lui porter l’estocade s’il était réélu. Il programme son offensive en s’en prenant d’abord à la PSC, vase communiquant de la Sécu dont le niveau de couverture ne cesse d’être abaissé. À travers la PSC, il attaque les solidarités, héritées de la Résistance et de l’après-guerre, entre générations, entre situations familiales, entre revenus, entre couvertures santé et prévoyance (“chacun·e cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins”). Il se donne les moyens de livrer encore plus aux assurances privées, aux banques, aux fonds de pensions les composantes les plus “rentables” de la PSC.

Il y a urgence !

Il y a urgence, dans un tel contexte à expliquer sans relâche les risques et à convaincre les personnels, les syndiqué·es de se mobiliser contre la signature d’un tel accord et pour sauvegarder et renforcer le système solidaire de protection sociale.

Il y a urgence pour les directions des syndicats à faire savoir clairement leurs positions : qu’elles refusent et combattent l’imposition dans la Fonction publique, par l’ordonnance du 17 février 21, du modèle catastrophique de l’ANI (Accord national interprofessionnel), déjà suffisamment dénoncé dans le privé. Et qu’elles n’entendent pas, en plus, entériner une telle évolution, dont le pouvoir fait un levier contre la Sécu, par leur signature de l’accord interministériel sur la PSC. Et ce, même sous couvert de meilleures garanties pour la seule santé et “d’équilibrés” montages dans les financements qui n’ont rien à voir avec la solidarité. Un tel accord est complètement opposé à leurs revendications, sur les solidarités, sur le 100 % sécu pour tous les frais engagés en santé et en prévoyance et sur le refus de tout contrat de PSC obligatoire choisi par l’employeur, qui, de surcroît, ne couvrirait plus que la santé et pas la prévoyance.

De telles clarifications sont essentielles pour mobiliser les personnels, et elles s’avèrent la meilleure façon d’éviter, dans la plus large concertation intersyndicale, “les hésitations”, “la crainte de l’isolement”, “parce d’autres syndicats risqueraient de signer et rendre l’accord majoritaire”. En fait l’accord majoritaire ne tient que par les signatures de directions syndicales qui auront à en rendre compte devant les personnels et les adhérent·es, et aussi devant l’histoire.

Des pertes à court, moyen et long terme

Et ce sont les pertes à court, moyen et long terme engendrées par un tel accord qui leur permettront de juger. À court terme, par rapport aux prestations des mutuelles gérant la PSC, qui, contraintes de s’adapter aux attaques contre la Sécu, se sont progressivement éloignées de l’idéal mutualiste de solidarité. Mais les assurances privées, que Macron a déjà introduites le plus possible lors du référencement des mutuelles par les ministères, ne peuvent faire que pire, avec leur obligation de bénéfices pour chaque contrat. D’ailleurs, tout pris en compte, les cotisations actuelles des mutuelles, qui intègrent la prévoyance et pour certaines des éléments de dépendance, dans un cadre nettement plus solidaire que le projet de la ministre de la “Transformation” et de la Fonction publique, restent inférieures aux montages de ce projet, y compris pour beaucoup d’actif·ves, même aux revenus modestes et n’ayant pas charge de famille. Les mutuelles vont être massivement exclues de la PSC et Macron leur réserve au mieux les secteurs les moins rentables de la protection sociale et les incontournables sur-cotisations (tout au moins celles qui ne seraient pas mises en place au titre des “options” par la PSC gouvernementale). À moyen terme, par l’évolution des engagements d’État que l’on sait de plus en plus élastiques et à plus long terme par rapport aussi à la Sécu.

Pour une non signature

Et les justifications d’une non signature auprès des personnels ne manquent pas.

À commencer par une explication chronologique et chiffrée. Macron avait décidé unilatéralement de réformer la PSC dès l’affaire des référencements des assurances privées. Pour aller plus loin il utilise la loi de transformation de la Fonction publique (LTFP), dont les syndicats demandent l’abrogation, et l’ordonnance du 17 février 21, promulguée dans le cadre de cette loi. Cette ordonnance rend obligatoire la participation des ministères pour 50 % au moins à la cotisation de PSC, pour des contrats collectif ou individuels, obligatoires ou pas. Et s’il n’y a pas d’accord majoritaire, il n’y aura pas de remise en cause de cette participation (actuellement 15 euros mensuel à partir de ce mois de janvier, pour permettre à Macron de s’attribuer un coup de pouce pour le pouvoir d’achat avant les élections). Pourquoi une telle clarification manque-t-elle souvent dans la communication des directions syndicales ?

Est-ce parce qu’il leur semble difficile d’expliquer qu’une fois de plus Macron a une longueur d’avance, en introduisant de substantielles mises en cause d’acquis, en échange d’un gain de pouvoir d’achat, somme toute modeste en regard des 15 à 25 % perdus par les employé·es de la Fonction publique. Gain qui ne coûtera pas grand-chose au pouvoir (à budgets constants pour les ministères) et qui sera rapidement mangé par l’inflation, les impôts ou l’augmentation de cotisations dites « d’équilibre » parce que fonction directe des dépenses de santé.

Par contre, la contrepartie diabolique de la participation de l’employeur est qu’elle ne porte pas sur des contrats couplant la santé (maladie, grossesse, accident) et la prévoyance (incapacité de travail, invalidité, inaptitude, décès), comme ce que proposaient jusque-là les mutuelles, mais simplement sur la santé. Les résultats d’un tel découplage se feront rapidement sentir : débarrassées de la prévoyance, les assurances privées pourront proposer aux employeurs des contrats santé plus “attractifs” que les mutuelles et vont tendre à les supplanter.

Le nombre de citoyen·nes privé·es de PSC va exploser : exclu·es du travail, familles modestes et retraité·es (qui en ont le plus besoin) auront du mal à assumer des contrats prévoyance, si déjà ils y arrivent pour la santé.

Voilà, qu’il y ait ou pas signature majoritaire de l’accord PSC, la description de la situation à venir, simplement organisée par la LTFP, dont les syndicats demandent l’abrogation, et par l’ordonnance du 17 février 21, dont ils devraient également exiger l’abrogation. Mais ils sont tous sidérés par la peur de remettre en cause le peu de pouvoir d’achat que cette ordonnance institue, à moins d’un an d’élections professionnelles pour lesquelles s’aiguise déjà leur concurrence, incapables qu’ils ont été cette année encore de s’opposer au blocage des salaires. C’est peut-être ce qui, avec les conditions inacceptables de suivi des accords qui écartent les non signataires, explique, mais ne justifie en rien leur grande timidité sur l’ensemble du dossier PSC et particulièrement sur la signature de l’accord PSC interministériel.

Avec la signature majoritaire de l’accord PSC interministériel, ce serait plus grave encore.

En effet, cet accord va beaucoup plus loin car il impose, contrairement à l’ordonnance du 17 février 21, un contrat collectif unique à adhésion obligatoire. En plus l’accord codifie de prétendus “mécanismes de solidarité” dont la faiblesse et la duplicité marquerait la fin des solidarités à la base de la protection sociale depuis l’après-guerre.

Quelle solidarité ?

Pour les actif·ves la solidarité entre les revenus, ne concernerait que 60 % de la moitié de la cotisation payée par les “bénéficiaires”, soient 20 euros. Et selon les projections ministérielles fournies aux organisations syndicales la solidarité représenterait une amplitude maximum de 5 à 7 euros… Et dans les limites d’une fois le plafond sécu (3428 € pour 2021). Et si ces conditions ne leur conviennent pas, iels n’ont aucun moyen de quitter le contrat unique obligatoire. Pas plus d’ailleurs que les syndicats.

Pour les ayant droits, les solidarités familiales pour les conjoint·es et pour les deux premiers enfants de moins de 21 ans (25 ans si études ou apprentissage) sont d’autant plus insuffisantes, qu’iels ne perçoivent pas la participation de l’employeur ce qui signifie respectivement 210 % et 150 % de ce que payent les bénéficiaires actif·ves.

Mais c’est pour les retraité·es que le projet d’accord est le plus contraire au principe de solidarité. En effet il est prévu par l’article 7.1 que les retraité.es paieraient entre 100 et 150 % de la cotisation d’équilibre les cinq premières années de la retraite et 175 % ensuite. En fait, cela signifierait, vu qu’iels ne seraient pas remboursé.es d’au moins 50 % de la cotisation d’équilibre, qu’iels paieraient entre plus de 2 fois et plus de 3,5 fois que les actif·ves (plus de 105 euros par mois pour un panier de base ne comprenant que la santé).

Et la clause de l’arrêt des augmentations de la cotisation à partir de 75 ans peut étonner, vu que celle-ci est plafonnée à 175 % de la cotisation d’équilibre à partir de la sixième année de retraite. C’est tout simplement parce que les dispositions pour financer ces “solidarités” ne garantissent plus les plafonds prévus par l’accord et font donc payer par les retraité·es leur “surcoût”, à partir du moment où celui-ci dépasserait de 10 % la cotisation de référence payée par les actif·ves. Que ce surcoût soit causé par un plus grand nombre de retraité·es dans le ministère concerné, par l’absence de recrutement ou par l’augmentation des dépenses de santé des seuls retraité·es. Ce qui signifie que la cotisation des retraité·es pourrait aller bien au-delà de 115,5 € (105 € + 10 %). Et aussi que le renchérissement dû aux dépenses des retraité·es de plus de 75 ans ou à l’augmentation de leur effectif serait supporté par les retraité·es jusqu’à 75 ans. C’est la solidarité intergénérationnelle… entre les seul·es retraité·es, comme le reconnaît d’ailleurs la ministre de la Fonction publique dans son courrier du 6 janvier qui accompagne le projet d’accord définitif : “Le projet d’accord permet de garantir des mécanismes de solidarité puissants, tant entre actifs, qu’entre retraités”, mais pas entre acfif·ves et retraité·es. Quant à l’aide du fonds destiné aux retraité·es les plus en difficulté, elle sera attribuée en tenant compte des ressources des bénéficiaires.

Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres encore que le cadre limité de ce texte ne peut aborder, les syndicats ne peuvent se renier en sautant dans les pièges tendus par le pouvoir, ce qui suppose :

– en premier lieu, et dans l’urgence, de tout faire, de la façon la plus concertée et unitaire possible, pour qu’il n’y ait pas d’accord interministériel majoritaire sur la PSC ;

– de renforcer dans les plateformes et dans les actions la défense du 100 % de remboursement de l’ensemble, sans la moindre exclusion, des frais engagés en santé comme en prévoyance, par la Sécurité sociale. Celle-ci doit être financée par les cotisations des adhérent·s et des employeurs (qui doivent payer l’ensemble de leur dû). Cotisations solidaires, en termes de générations, de revenus et de famille. Le contrôle des travailleur·es sur leur sécu doit être renforcé ;

– de se battre pour une PSC, avec contrats libres, en santé comme en prévoyance assurée exclusivement par des mutuelles, auprès desquelles les syndicats doivent contribuer à retrouver les idéaux et pratiques solidaires et mutualistes. Les assurances privées doivent être exclues de la PSC ;

– cela implique de mener la bataille pour l’abrogation de l’ordonnance du 17 février 2021 (cohérente avec celle de la LTFP), ce qui revient à exiger que la participation employeur à la PSC soit pour des contrats collectifs ou individuels, solidaires, en santé et prévoyance et va nécessiter d’engager une vaste campagne de mobilisation la plus unitaire possible expliquant les dangers y compris à terme par rapport au pouvoir d’achat, au-delà du modeste gain utilisé comme appât.

Équipe responsable d’Émancipation tendance intersyndicale,le 19 janvier 2022

Voir aussi : https://emancipation.fr/la-revue/numero-6-mars-2022/intervention-demancipation-au-cdfn-fsu-du-25-01-sur-la-psc/