Dans la continuité de la lutte contre les mégabassines, plus de 30 000 participant·es se sont réunies entre Melle et La Rochelle entre le 16 et le 21 juillet pour affirmer la nécessité d’en finir avec ces projets et agir contre l’ensemble du système agro-industriel dans lequel ils s’inscrivent. À l’origine de l’initiative, le collectif Bassines Non Merci et les Soulèvements de la Terre avaient été rejoints par plus d’une centaine d’organisations.
Plusieurs camarades de la tendance intersyndicale Émancipation se sont engagé·es en tant que tel·les ou individuellement dans ces mobilisations : préparation, fonctionnement de la base de soin , manifestations et actions des 19 et 20 juillet … Cet article revient sur la participation à une partie des rencontres “pour une alliance planétaire des bassins versants”.
L’esprit général des rencontres
La préparation collective de l’atelier avait permis d’aboutir à la présentation suivante :
“Il est plus que temps de nous organiser. Il nous faut créer, à côté des ripostes dans les rues ou des réponses dans les urnes, des espaces d’audace, d’alliances et d’autonomie qui permettent de nouvelles compositions. Ces espaces, nous les appelons des « pays dans le pays ». Ce sont des espaces territoriaux toujours en lien avec des gens et un ruisseau, une rivière, un fleuve, un océan. Instaurer des « pays » à partir de bassins versants permet de faire d’un enjeu vital, l’eau, un espace politique.
Alors que l’Europe flirte avec le fascisme et que nos institutions se délitent, nous œuvrons à faire de nos milieux des ouvertures sur le monde. Nous proposons de redessiner ensemble, à partir de l’eau, une géographie démocratique désirable et vivable pour tous et toutes les vivant·es. En même temps, nous n’inventons rien. D’autres que nous ont pensé ces pays depuis longtemps, comme les peuples premiers qui ont réussi à rester en relation avec leur territoire. Cette idée forte, combattue par des siècles de colonialisme et d’extractivisme, nous proposons de la prendre avec nous.
Cette proposition de faire pays sait aussi qu’elle n’est pas seule au monde et que le monde est fait de fascismes, de capitalisme et de brutalités. Qu’elle n’est pas déconnectée. Elle sait ce qu’elle doit défendre et dans quel temps et quel contexte elle vit. Cette proposition sait qu’elle n’est pas seule et qu’elle ne peut pas aller seule. Si elle entend construire, elle n’oublie pas pour autant tout ce qui est détruit. Et tout ce qu’elle peut défendre. Et tout ce qu’elle doit combattre.
Faire pays localement en ne cédant rien aux contraintes géopolitiques ni aux politiques nationales, cela suppose aussi de nous relier, de nous fédérer, de nous sentir rassemblés, de nous soutenir aussi, de mettre ensemble nos pratiques, nos idées et nos moyens. C’est pourquoi il nous faut trouver aussi une forme qui nous permette de converger durablement, pourquoi pas de façon planétaire”.
Comment avons-nous abordé ces rencontres ?
Nous n’avons hélas pu participer qu’aux échanges du mercredi 17 juillet, consacrés aux “Nouvelles formes de légitimités et d’habitabilités en face et dans le temps de la légalité actuelle” et aux ateliers “S’organiser, s’autoorganiser, mutualiser, contribuer” et “Se relier, exister à partir de l’existant, partir du déjà là”. Cette journée du mercredi n’a constitué qu’une petite partie des échanges mais elle était déjà d’une grande richesse.
La conscience de la nécessité d’échanger “en vrai” et de l’erreur d’analyser la dynamique d’un mouvement par le prisme déformant des réseaux sociaux ou autres médias, nous a par exemple permis de nous rendre compte que certaines stratégies pourtant évoquées lors de la préparation des ateliers étaient peu représentées parmi les militant·es, du moins ces jours-là. C’est le cas par exemple du projet “Vers une internationale des rivières” basé sur un travail de développement de droits de la nature et la personnalisation juridique des écosystèmes ou encore du projet de “Conseil diplomatique des bassins versants” . La recherche de validation institutionnelle ou de statut d’interlocuteur·trice auprès des institutions ont d’un côté le mérite de représenter un débouché politique pour les personnes qui ne s’engageraient pas sans cet horizon.
D’un autre côté, les points d’appuis que ces débouchés peuvent représenter peuvent aussi se transformer en piège quand ils se substituent à la construction de rapports de forces par des actions qui dépassent leurs champs et pourtant nécessaires, ou quand ils n’interrogent pas les structures de mises en œuvre des décisions : comment faire respecter le droit ? Par qui ?
Pour l’animation des ateliers, nous avons proposé que les initiatives soient analysées avec le prisme des contradictions, sans balayer les unes ou les autres d’un revers de main comme s’ils en existaient des purement bonnes ou purement mauvaises afin de favoriser l’élaboration d’une synthèse collective. C’est ainsi que nous avons proposé de creuser les initiatives de coopératives intégrales comme étant des lieux d’expérimentation de socialisation et de résistance mais posant des questions d’échelle, de reproductibilité dans d’autres environnements ou encore de conflictualité larvée avec des réseaux capitalistes capables de les écraser si elles se mettent à représenter un danger effectif pour leurs intérêts. Dans le même esprit de proposer des prismes contradictoires d’analyse, nous avons abordé l’“Internationale Boulangère Mobilisée” comme permettant de faire du lien à partir d’actions très concrètes mais contournant de fait certaines questions politiques qui se posent à grande échelle, ou par rapport à d’autres secteurs de production et d’échange.
En cohérence avec ce prisme d’analyse, nous nous étions apprêtés à développer un argumentaire sur le projet de réseau écosyndicaliste qui s’adresse à des personnes qui travaillent dans des secteurs intégrés au capitalisme mais qui, via la question écologique et de santé au travail, sont aussi des clés pour enrayer la machine voire même développer des alternatives à partir de leurs milieux professionnels. Nous avons également évoqué nos pistes de réflexion sur une structuration syndicale qui dépasserait le champ purement professionnel pour intégrer des collectifs de défense de lieux de vie, à l’image de ce que peut faire la CSP Conlutas au Brésil. Ces réflexions s’inscrivent dans la réflexion autour de la création d’espaces politiques (au sens large) liés à des bassins versants par exemple, en les distinguant des structures de gestion qui existent déjà.
Lors d’une interview en aparté de ces ateliers, nous avons également évoqué le rôle que pouvait jouer l’Éducation dans les problématiques de préservation et de partage de l’eau.
Des perspectives prenant en compte la diversité des situations et des expériences
Nous n’avons pas pu participer à la synthèse des ateliers et des rencontres qui ont eu lieu les jours d’après. Par rapport aux formes de convergences et de fonctionnement communs concrets, il faut déjà considérer l’acquis que constituent les enrichissements consécutifs aux échanges de situations très diverses, au même titre que la participation internationale aux différentes manifestations liées à l’évènement. Pour prendre une partie de la mesure de ces acquis, il faut aussi considérer la capacité à réunir des militant·es du Mexique, du Brésil, d’Espagne, de Belgique, d’Inde, du Maroc, du Rojava, de Palestine, de Suède, de Colombie, du Tibet, d’Allemagne, du Portugal, du Chili, d’Italie, d’Irlande, du Liban ou encore de Kanaky… et les interventions que ces militant·es permettent de diffuser à une large échelle1 et qui permettent de se rendre compte que nous ne sommes pas seul·es à nous battre, y compris dans des contextes parfois plus difficiles.
Pour celles et ceux qui restent un peu sur leur faim en matière de construction d’outils de solidarité et d’action communes à l’échelle internationale, la diversité des contextes, des expériences et des moyens ont également montré qu’il n’y aura sans doute pas de solution simple et qu’il faut se donner du temps pour les construire.
Par exemple, la capacité de répondre à l’échelle de toute une région comme le Rojava est notamment la conséquence de l’oppression de tout un peuple et n’est pas forcément transposable en Belgique ou des camarades ont trouvé comme solution de constituer des groupes affinitaires spécialisés dans certaines tâches en relation avec leurs envies pour faire vivre des lieux de solidarité… Dans un autre “style”, une coopérative intégrale comme celle de Catalogne qui réunit entre 3000 et 4000 personnes ne donne pas les mêmes capacités et n’est pas soumise aux mêmes problématiques que d’autres initiatives qui se réclament de ce modèle mais beaucoup plus petites comme celle de la Commune de Scévolles par exemple.
Quoiqu’il en soit, les contacts sont établis et de nouvelles rencontres sont déjà dans les cartons. L’intelligence et l’action collective vaincront.
Mathieu et Serge
- Quelques exemples de prises de paroles de militant·es expliquant leurs luttes :
Carlos Beas du Mexique : https://www.youtube.com/watch?v=cxVfy9B-JWo
Mizkin Ahmed du Rojava : https://www.youtube.com/watch?v=h97_04h80Bk
La déclaration de la délégation du Rojava : https://www.bassinesnonmerci.fr/wp-content/uploads/2024/07/Message-delegation-Rojava.pdf et celle du Rajendra Singh d’Inde : https://www.youtube.com/watch?v=54lCM-8qSiU ↩︎