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Méga-bassines, agro-industrie, La Rochelle enfin rebelle


Le Village de l’eau et les manif-actions de Bassines Non Merci (BNM), des Soulèvements de la Terre (SdlT) et d’Extinction Rébellion (XR) constituent des événements majeurs du mouvement social durant l’été. Sans revenir dans le détail sur ces différents moments, il semble toutefois important, en tant que rochelais et militant Émancipation de partager quelques infos et réflexions dans notre revue concernant les actions du samedi 20 juillet à La Rochelle.

Depuis la semaine précédente, le ton était donné par les représentants de l’État avec interdiction des manifestations, récit officiel avec Darmanin qui va jusqu’à se déplacer à Niort pour un show belliqueux et menaçant à la préfecture, siège en règle du Village de l’eau où il fallait passer plusieurs contrôles avec fouilles et confiscations diverses et variées, brigades à cheval, drones, hélicos… Tout ce qui pouvait se faire pour dissuader quiconque avait l’intention d’y faire un tour avait été mis en œuvre par un pouvoir peu regardant à la dépense lorsqu’il s’agit de réprimer les opposant·es à ses copains du lobby agro-industriel. Pourtant, avec quelques 50 000 passages comptabilisés, ce rassemblement a montré l’étendue de la créativité militante du mouvement que ce soit en termes d’organisation logistique ou de richesse des contenus (conférences, débats, formations…) (1).

Une ville en état de siège

Quant à la manif rochelaise, elle devait être le point d’orgue de la semaine en mettant en évidence tous les rouages de la filière agro-industrielle dans la région avec ses cultures irriguées grâce, entre autres, aux méga-bassines, ses sols saturés d’intrants chimiques fournis par les “coopératives” qui ensuite transportent les céréales jusqu’au port de commerce où elles sont stockées puis, en fonction des cours (un peu de spéculation ne nuit pas !), exportées par bateau. Le port de La Pallice avec ses silos appartenant à ces “méga-coopératives” exportatrices était donc une cible privilégiée pour un blocage. C’était l’objet de la manifestation rochelaise que les organisateur·trices voulaient massive, festive et déterminée.

Depuis la veille, les grands moyens étaient déployés. De 3h du matin, jusqu’au lever du jour, un hélicoptère éclairait le camping du Village de l’eau pour repérer les départs. Très tôt, La Rochelle était bunkérisée. Les forces de l’ordre contrôlaient tous les accès à la ville avec fouilles des véhicules. L’intérieur de la ville et tout particulièrement son centre historique était investi par des centaines de policiers en uniforme et en civil. Le moindre passant sur le Vieux-Port subissait une fouille en règle. Télés et photographes étaient sur place pour bien montrer la “force de dissuasion” sur les chaînes d’info en continu et les réseaux sociaux. À 21h le vendredi soir, le préfet avait envoyé un mail à tous les commerces du centre-ville et aux forains du grand marché du samedi pour leur signifier l’interdiction de la tenue du marché ainsi que l’obligation de ne pas installer de terrasses extérieures. Les services municipaux avaient dégagé tout ce qui pouvait servir de projectile ou d’élément de barricade. Le maire (ex PS reconverti centre-gauche-Macron-compatible) y était allé de son communiqué alarmiste. Les hordes de “black-blocs” venues de toute l’Europe allaient déferler sur la ville… Ambiance !

Mais c’était sans compter sur l’inventivité des “Paysan·es Travailleurs” venus de Loire-Atlantique qui, aidé·es par les militant·es de BNM, des SdlT et d’XR ont réussi à pénétrer dans le périmètre interdit au lever du jour par là où les flics ne les attendaient pas, le pont de la riche et bourgeoise île de Ré. Le blocage des entrepôts du céréalier Soufflet a duré jusqu’en milieu de matinée et une charge des CRS, avec une bonne dose de lacrymos, les ont obligés à se replier vers la ville. Belle action qui bien que symbolique a permis de visibiliser la réalité du commerce industriel et spéculatif des grands groupes céréaliers. Et puis, réussir une telle opération au nez et à la barbe d’un dispositif policier surdimensionné et suréquipé est un beau pied de nez à Darmanin et à ses petits soldats obéissants de préfets.

Deux manifestations

Pendant ce temps, malgré barrages et contrôles, ce sont près de 10 000 personnes qui ont réussi à rallier le point de rassemblement pour la manif massive du jour. Après quelques hésitations concernant le nombre de cortèges et les parcours (dues à la confiscation in extremis, juste avant la manif du camion transportant tout le matériel de l’ingénieuse sonorisation mobile des cortèges), deux manifs se sont élancées. L’une, très massive et familiale le long de la côte. L’autre, déterminée et néanmoins festive (plusieurs super fanfares militantes) sur un parcours plus urbain. Les deux en direction du port de commerce, objectif du jour.

C’est là qu’on a pu voir grandeur nature la philosophie du maintien de l’ordre à la sauce macroniste avec toutes ses facettes, des choix de stratégies policières au récit officiel orchestré par les médias en passant par les intimidations et les provocations.

Sauf si vous étiez en vacances dans une contrée éloignée, vous avez sûrement entendu à la radio ou vu à la télé et sur les réseaux sociaux l’épisode du “saccage” des commerces et en particulier d’une supérette U où tout était réuni pour un beau récit des méchants black-blocs contre les gentils commerçants. “Un couple qui venait d’acheter ce magasin avec les économies d’une vie et s’étaient installés quelques semaines auparavant. Des dizaines de casseurs qui ont détruits portes et vitrines pour piller un magasin dévasté après leur passage…”. Oui, c’était une vraie connerie de ciblage politique de s’en prendre à cette petite supérette pour y dérober quelques sandwichs et des bouteilles d’alcool. Mais il faut relativiser. Dès le lendemain, le magasin était réouvert (devant les caméras !), quelques jours après, les dégâts réparés, tout ça grâce à la “solidarité des habitants, des collègues franchisés U et l’action immédiate des assurances”. Beau tableau de la France qui travaille. On est toutefois en droit de se demander comment se fait-il que la police présente en masse dans la ville n’ait pas été en mesure de protéger préventivement la supérette ? Comment se fait-il que parmi les “casseurs” figuraient quelques personnes qui avaient l’air assez étrangères à la manif ? Comment se fait-il que l’enquête qui devait être “rapide” n’ait encore livrée aucune piste ? En revanche, cette action a permis un récit officiel et médiatique qui a largement invisibilisé la remarquable action du matin dont le récit, peu glorieux pour les forces de l’ordre, aurait fait tache dans la version officielle.

D’autres actions ont eu la faveur des médias comme le caillassage des abribus. Là encore, il aurait sûrement été préférable de les utiliser pour taguer des slogans que de les détruire. En revanche le ciblage d’une agence AXA avec la signature “Fallait pas financer l’A 69” était plutôt bien vu. On ne pleurera pas non plus sur le sort de l’agence Banque Populaire et on notera que le bar PMU a été épargné tout comme la petite épicerie maghrébine ouverte récemment. Et on pourra carrément se réjouir que les murs aient repris la parole le temps d’un après-midi, ceci parfaitement illustré par ce graph “Cette ville est trop sage”. Effectivement, dès le lendemain matin aux aurores, les services municipaux étaient au travail pour effacer tout passage de la manif, le standing de La Rochelle n’aurait sans doute pas supporté ces expressions sauvages et populaires. Les qualificatifs “Belle et rebelle” qui ont un temps été accolés au nom de la ville ne sont décidément plus qu’un slogan d’office de tourisme. Et la bourgeoisie rochelaise s’en remettra aussi vite que le DAB de la Banque Pop.

Techniques de maintien de l’ordre !

En revanche, ce qui reste le problème majeur de cette journée, ce sont les techniques utilisées pour un soi-disant maintien de l’ordre. Le cortège urbain s’est en effet assez rapidement fait nasser par les CRS. S’en sont suivis des tabassages en règle, des gazages, des tirs de LBD… le tout face à une grande majorité de manifestant·es qui n’avaient pas de moyens de protection contre ces agressions policières. Il n’y avait pas d’issues pour fuir cette nasse. Les plus en forme ont escaladé des murs pour se mettre à l’abri dans des jardins. D’autres ont essayé de fuir à travers une résidence ce qui, traduit en langage officiel, a donné “l’envahissement d’un EHPAD”. En réalité, il s’agissait d’une ancienne résidence seniors reconvertie en résidence tout à fait ordinaire depuis plusieurs années. Quelques-un·es qui avaient réussi·es à fuir dans les petites rues du quartier poursuivi·es et gazé·es par des policiers zélés en quête d’arrestations n’ont dû leur salut qu’à quelques habitant·es du quartier qui les ont protégé·es en leur ouvrant la porte de leur maison. Les différents témoignages sont assez terribles sur les violences complètement gratuites subies. Un recueil de ces récits est en cours et nul doute qu’il viendra contredire la version manichéenne livrée par la préfecture. Nombre de camarades présent·es dans ce cortège saluent très positivement le rôle du black bloc qui par son action collective a réussi à protéger une grande partie du cortège tandis que plusieurs de ses membres venaient en aide aux personnes sans équipement, blessé·es, choqué·es quand les médics étaient débordés. Au bout de longues minutes de tabassages et de suffocation sous les gaz, une grande partie des manifestant·es a réussi à se dégager et a pu rejoindre la côte et le cortège familial. Les CRS ont alors déployé les blindés Centaure et les canons à eau pour contraindre tout le monde à regagner le point de départ et la plage où un grand bain collectif au son des fanfares a été improvisé et dont les images joyeuses ont fait le tour du web.

Non seulement Darmanin n’avait pas lésiné sur les moyens sur terre, sur mer et dans les airs mais il avait également choisi d’envoyer au contact la CRS 8 à la réputation ultra-violente. Composée de policiers triés pour leur goût de la baston et leurs sympathies d’extrême droite, c’est cette compagnie qui est envoyée sur tous les mauvais coups, que ce soit mettre au pas la jeunesse des quartiers ou pour réprimer les manifs les plus engagées. Pour accréditer son récit guerrier et manipulateur, justifier la gabegie de moyens militaires de toutes sortes et les violences de ses troupes, Darmanin est contraint à une escalade sans limite. On peut se demander ce qu’il serait advenu si les forces de l’ordre s’étaient contentées de défendre les sites stratégiques de l’agro-business au port de commerce ? Comme personne n’avait intérêt à un nouveau Sainte-Soline, il fallait bien que le pouvoir justifie son positionnement radical. C’est ce qu’il a fait à La Rochelle, de plus dans un environnement urbain où il maîtrise parfaitement toutes les techniques répressives.

Un bel exemple d’énergie militante

À l’heure des bilans, on retiendra néanmoins une mobilisation massive, festive, joyeuse et déterminée comme on n’en avait jamais vu à La Rochelle. Une énergie partagée qui donne envie de se mobiliser jusqu’à l’obtention d’un moratoire sur tous les projets de bassines, ici et ailleurs. Mais aussi contre cette agro-industrie qui, obnubilée par ses profits, méprise jusqu’à la vie des enfants atteints de cancers pédiatriques en raison de toutes les saloperies répandues dans les vastes étendues de la plaine d’Aunis. Pour ces luttes essentielles qui ne pourront trouver leur aboutissement que dans un changement radical de système, nous avons besoin d’être inventif·ves, déterminé·es et nombreux·euses. Cette grande mobilisation de l’été où l’auto-organisation tenait une part essentielle, outre qu’elle était un grand pied de nez au pouvoir, constitue un bel exemple de ce que de l’énergie militante est capable de produire quand elle n’est pas cadenassée dans de vieilles organisations verrouillées aux schémas d’action dépassés.

Michel Busse

Pour aller plus loin :

Les Paysans-Travailleurs-Autonomes sur l’action de blocage des entrepôts Soufflet (Chaine YouTube BNM) : https://www.youtube.com/watch?v=Gbjlk4IWbBk

Florilège des violences policières en roue libre sur le cortège “Nord” : https://contre-attaque.net/2024/07/20/megabassines-la-rochelle-sous-les-matraques/

Un bon reportage vidéo de Partager c’est sympa : https://www.youtube.com/watch?v=7YYiGpZ-UCY

Et les syndicats dans tout ça ?

Du côté des centrales syndicales, la CGT et Solidaires étaient présentes au Village de l’eau avec des stands. Solidaires faisait même partie des co-déclarants de cette partie de la mobilisation et ses militant·es étaient actif·ves parmi les bénévoles mais également parmi les manifestant·es des 19 et 20 juillet. Les cégétistes étaient beaucoup plus discret·es même si pas mal étaient présent·es à titre individuel dans les manifs.

Mais la grande absente du Village et des manifs était sans conteste la FSU. Même les militant·es de quelques-uns de ses syndicats nationaux, en particulier celui de l’enseignement agricole, pourtant présent·es à Sainte-Soline, avaient, sur ce coup, déserté le terrain. Il faut dire que la fédération de Benoit Teste, qui se fend chaque semaine de nombreux communiqués sur à peu près tous les sujets, n’était même pas signataire de l’appel au Village de l’eau. Ses dirigeant·es et ses militant·es (excepté ceux d’Émancipation !) ont été notoirement absent·es de cette séquence estivale qui comptera pourtant comme un fait marquant du mouvement social de ces dernières années. Manque de clairvoyance politique ? Recentrage corporatiste ? Virage réformiste pour une centrale qui se revendique pourtant de la “transformation sociale” ? Son prochain congrès prévu dans quelques mois nous éclairera peut-être sur cette nouvelle “ligne” ?