Émancipation


tendance intersyndicale

La laïcité menacée

Dossier

Cet article, non signé, a été publié dans le numéro 2 de L’École Émancipée (25 mars 1945), modestement intitulée à l’époque “Bulletin intérieur du Comité de Coordination des Syndicalistes de l’Enseignement”.

Au risque de surprendre quelques camarades nous déclarons d’abord qu’à notre avis cette question n’est pas la première de nos préoccupations. Défense des conditions de vie des instituteurs, lutte pour une organisation internationale de l’économie et, chaque jour pour la paix contre les impérialismes, voici nos tâches matérielles. Ces tâches et particulièrement la conduite d’une lutte des classes lucide sont quelquefois masquées par un anticléricalisme désuet et quelque peu “petit-bourgeois” qui n’est pas le nôtre.

Nous sommes anticléricaux mais d’une autre façon. Nous sommes anticléricaux parce que, dans une large mesure les Églises se rangent parmi nos adversaires, s’intègrent dans l’ordre établi et lui fournissent ses défenseurs les plus zélés. Dans la mesure où des catholiques, par exemple, se décident à entrer en conflit avec nos oppresseurs, nous sommes à leurs côtés et ils ne trouveront pas de plus efficace compagnons que nous. Déplorons que le fait soit encore peu fréquent.

Ceci posé, il est clair que l’Église catholique a largement bénéficié de la défaite de l’occupation et surtout du régime de Vichy.

Ce n’est pas pour rien que Maurras a qualifié de divine la surprise qui lui ouvrait les avenues du pouvoir. Le très catholique maréchal Pétain a “sucré” largement ses dévots, on assista aux plus belles capucinades du siècle, et parallèlement la hache – ou la francisque – fut portée dans toutes les organisations suspectes de laïcisme, voire même de neutralité.

Par une escroquerie presque unique dans l’histoire, l’Église catholique a tenté et semble-t-il presque réussi de conserver tous ses avantages après la Libération. Presque tous les leviers de commande sont aux mains des “chrétiens sociaux”. La presse est dirigée avec un manque de pudeur aveuglant et une campagne d’une ampleur considérable est entamée pour le maintien des subventions, au nom d’une liberté de l’enseignement qui n’est que le paravent d’une entreprise cléricale aux vastes ramifications et aux desseins ambitieux.

Il n’est pas besoin d’exposer longuement nos raisons d’être parmi les meilleurs et les plus conséquents défenseurs de la laïcité. C’est au nom de la liberté de l’enfant que nous luttons. Les fameux droits du père de famille sont le reste, pour une large part, de civilisations périmées, les droits de l’État sont le fruit amer des régimes totalitaires – et sans nier absolument ni les droits du père, ni ceux de la société, nous devons mettre en avant ceux de l’enfant qui ne doit être privé d’aucun rayon de l’esprit et avoir, autant que possible, une pleine connaissance des faits et des idées avant de prendre librement une décision éclairée. Pour une large part, les éducations religieuses et totalitaires sont un viol de l’enfant. À nous de défendre une formation de l’homme à l’étude de la liberté.

Notre inquiétude n’est pas sans raisons. Alors que l’Église, au lendemain de la Libération, s’attendait à perdre les avantages accordés par Pétain, un étrange sursis lui fut accordé. Si nos renseignements sont exacts, le ministre avait proposé la suppression des subventions. Les ministres catholiques firent valoir que les budgets étaient faits pour l’année (492 000 000 frs) et, à l’unanimité, communistes et socialistes y compris, le Conseil décida le maintien provisoire – un provisoire de trois mois qui dure encore.

Il faut insister sur cette grave faute des défenseurs habituels de la laïcité. Une erreur de même taille avait été commise en 1918 à propos de l’Alsace-Lorraine. Sous prétexte d’apaisement, de considérations locales, un sursis avait été accordé qui durait encore 22 ans après – un même coup se prépare. Les évêques affolés un instant se sont ressaisis et toute une cavalerie renouvelée de Saint-Georges prépare la défense en attaquant sans répit.

À Paris, un meeting de l’Association des Amis de l’École publique connut la visite bruyante de quelques porteurs de soutanes, un second fut organisé par deux abbés – et copieusement chahuté par les laïques qui n’entendent pas faire les frais de l’“union”. Un référendum circule partout pour défendre la “liberté de l’enseignement”, une campagne s’amorce dans toute la presse.

Il se peut que cette agitation ne soit pas inutile. Elle a eu le mérite de réveiller les endormis et nous sommes heureux de saluer un renouveau d’ardeur laïque qu’il faut aider.

Que faire ?

D’abord faire mettre partout, dans tous les milieux, la question à l’étude. La population, dans son ensemble, reste très attachée à l’école populaire. Animer les discussions, les nourrir de faits, animer aussi les organisations.

Ensuite, redresser l’attitude des organisations traditionnellement laïques.

Enfin, chaque jour, apporter sa pierre à l’édifice. Il faut substituer l’action pratique aux parlottes indignées et vaines des “Homais” plus ou moins bourgeois.

Dans un prochain numéro, nous traiterons plus complètement de cette question. Nous serions heureux de recueillir d’ici là, le maximum de renseignements qui, publiés, aideront au travail d’éclaircissement.


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