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Féminismes frontaliers : détruisons les frontières !

En un an, tout peut changer. 2020, puis 2021, a remodelé la réalité sur l’île de Lesbos.

Sur les frontières, il n’y a guère de temps pour se reposer, pour célébrer les petites victoires. Il faut toujours rester vigilant·e et prêt·e à résister aux assauts du pouvoir, qui semble déterminé à détruire jusqu’à la dernière goutte d’espoir, d’auto-organisation et de solidarité. Le récit qui définit 2020 comme une année noire à cause des conséquences de Covid-19, a rendu invisible une année désastreuse aux frontières de l’Europe où les droits des personnes en mouvement ont subi un recul drastique.

Nous avons commencé l’année 2020 dans l’espoir, heureuses de nous rencontrer dans la rue, de savoir que nous avions réussi à rester debout malgré le poids des menaces, de la peur et du désespoir. La première manifestation de femmes sur l’île. Nos voix se sont fait entendre après un long silence. Mais nous n’avions jamais vraiment été silencieuses. Si vous étiez attentif·ves, vous pouviez entendre nos voix parmi les tentes de ce camp de la honte, parmi les bruits de combats et de couteaux entre hommes brisés par la violence et les frontières. Nous continuions à chercher un moyen de nous libérer dans un espace aussi hostile que les frontières de la forteresse Europe. Les dirigeant·es se demandaient comment il était possible que, malgré tous les efforts déployés pour nous détruire en tant qu’individus et en tant que collectif, nous puissions encore nous lever !

Retour de la peur et du désespoir

Mais aux frontières, il n’y a guère de temps pour célébrer les petits succès. Peu après, nous avons vu comment le système raciste et patriarcal réagit avec toute sa fureur lorsque celles et ceux qui devraient répondre au mandat de silence osent élever la voix. La violence qui a été déclenchée avait pour but de nous renvoyer à la place de soumission qui nous est accordée. Si les manifestations du début de l’année 2020 criaient “nous n’avons plus peur”, cette année nous avons vécu une série d’événements qui ont rétabli la peur et le désespoir.

Les manifestations ont été accueillies par des gaz lacrymogènes, des coups et des identifications. Des mesures coercitives ont été prises à l’encontre des femmes et des enfants qui réclamaient pacifiquement une vie digne. Ils voulaient nous rappeler qu’il n’y a pas de droits pour nous, ni sociaux ni politiques, aux frontières. En collaboration avec la police, des groupes d’extrême droite ont été réactivés et ont pris le contrôle des rues. Des groupes de civil·es se sont organisés à différents endroits sur le chemin du camp, et armé·es de matraques en acier, ils exigent des gens des documents.

Peu de temps après, nous avons découvert les plans du gouvernement grec de construire un camp fermé, une prison. Paradoxalement, la haine des groupes d’extrême droite, qui est immense, les a poussés à arrêter la construction et à expulser les policiers qui essayaient de protéger la construction. Cette victoire a réaffirmé leur sentiment de toute-puissance, et ils en ont profité pour attaquer les personnes et les voitures de celles et ceux qu’ils ont identifié·es comme membres d’ONG. Un système de terreur a été installé sur l’île, et les migrant·es et toutes celles et ceux qui étaient solidaires ont été attaqué·es dans les rues, en toute impunité. L’hostilité totale a été normalisée. Les ONG ont évacué leurs volontaires pour des raisons de sécurité, comme s’il s’agissait d’une guerre. Parce que c’est une guerre. Ils et elles sont parti·es avec leurs passeports…

On était encore en mars. Alors que la Turquie annonçait l’ouverture de ses frontières avec la Grèce, l’Union européenne en profitait pour fermer définitivement ses frontières, en violation du droit d’asile international. Elle a mis en place un système de refoulements violents, abandonnant celles et ceux qui tentaient de rejoindre l’Europe sur des radeaux, moteurs confisqués, flottant vers les eaux turques. Le seul droit garanti aux migrant·es sur cette île, le droit de demander l’asile, a ainsi été effectivement anéanti.

L’établissement d’un camp fermé

La pandémie de COVID n’a fait que faciliter ce que la police et l’État grec n’ont pas réussi à faire, à savoir l’établissement d’un camp fermé de type prison. Un confinement qui n’a jamais cessé, l’agonie de l’attente que le Covid entre dans un camp surpeuplé, les processus d’asile gelés, l’angoisse de vivre chaque minute dans ce qui était de plus en plus un centre de détention, l’enfer.

Quand on vous a refusé toute forme d’expression politique, la seule chose qui reste est la violence et le feu. Le feu comme dernier recours pour la libération. Face aux premiers cas de Covid au sein de Moria, la tension et la peur se sont rapidement accrues. Des appels ont été lancés pour faire sortir les personnes infectées du camp, et en l’absence de réponse, la réaction a été le feu. Mais il semble que les frontières soient à l’épreuve du feu. Ils ont construit un nouveau camp, fermé à nouveau, au bord de la mer pour voir s’ils peuvent nous noyer cette fois, où il n’y a toujours pas de zone sûre pour les femmes seules, pas d’électricité, pas de douches depuis plus d’un mois. Un nouvel enclos pour continuer les tortures qui nous sont infligées face à la complicité et au silence des gouvernements et de la population de l’UE.

Le feu comme dernier recours

Cette année, nous avons perdu une bataille et avons été réduites au silence une fois de plus. Nous sommes toujours exposé·es au feu, qui reste le seul élément qui nous rend visibles. Le feu par lequel nous nous enflammons pour qu’ils nous laissent être, le dernier bastion de notre possibilité pour l’autodétermination de nos propres corps. Les camarades racontent qu’un des derniers incendies du nouveau camp de Moria a été allumé par une femme, enceinte de huit mois, qui a sorti ses enfants de la tente et s’est immolée.

À la surprise de celles et ceux qui pensent que c’était la fin, nous annonçons que la lutte continue. Les frontières traversent nos corps, elles nous assassinent et nous mutilent. Mais malgré les innombrables formes de violence, nous continuons à chercher des moyens de continuer à résister et à construire un avenir avec justice. C’est notre lutte féministe, la lutte pour la vie. Si les féministes parlent des oppressions des femmes, les féministes des frontières parlent des meurtres en mer, des prisons, des camps de détention, des refoulements, des systèmes d’asile injustes et dégradants, et de l’exploitation du travail. Aujourd’hui, nous voulons lancer un appel aux femmes d’Europe.

  • * Ils étouffent nos voix. C’est le genre de violences qui sont infligées aux femmes aux frontières.
  • * Nous sommes agressées, abandonnées dans la mer en attendant de mourir. C’est le genre de violences qui sont infligées aux femmes aux frontières.
  • * Ils nous enferment dans des prisons.
  • * Nos corps brûlent à cause de l’injustice et de la négligence. C’est le genre de violences qui sont infligées aux femmes aux frontières.
  • * Nous sommes réduites au silence, menottées, emprisonnées et torturées.
  • * Nos droits ne sont pas reconnus. Votre silence nous opprime.

Nous devons construire des ponts qui nous permettent d’être plus fortes, d’aller plus loin, de détruire les frontières. Ces frontières qui divisent aussi les femmes, qui nous empêchent de nous reconnaître les unes les autres. Le système ne tombera pas si les frontières ne tombent pas. Détruisons le patriarcat, détruisons les frontières !

WISH (Women in solidarity house) de Lesbos