Pierre Bourdieu est à l’origine de la recherche sur ce concept. La violence symbolique n’est pas une violence ouverte comme la violence physique. Ses effets ne sont connus que de ses seules victimes – ce caractère privé les désarmant psychologiquement, les poussant à aggraver les dommages en s’en rendant peu ou prou responsables…
C’est le jeu destructeur de la culpabilisation, de l’intériorisation de la “faute”, bien connu des femmes au sens qu’“elles n’ont pas fait ce qu’il faut”, “qu’elles ont fait ce qu’il ne faut pas” qu’elles “font défaut” quelque part, continûment infériorisées qu’elles sont par une société sexiste.
Violence symbolique et domination
Si nous comparons cette violence à la violence physique (qui parfois l’accompagne) nous trouvons chez l’offensé·e le même désir de cacher cette situation – souvent récurrente – à l’entourage, au monde en général : de même que la femme battue cherche à dissimuler la trace des coups et quand celle-ci est visible, à lui trouver en public les explications les plus extravagantes, les moins crédibles, la victime de la violence symbolique qui peine déjà à l’admettre comme telle évite d’en parler autour d’elle et s’enferme ainsi dans le mal-être, voire la dépression.
Le socle de la violence symbolique est l’inégalité et l’exercice de la domination. On la retrouve dans tous les domaines où celle-ci s’exerce : classe, race, âge – le pouvoir de l’adulte sur l’enfant comme l’exclusion des vieux – milieu professionnel. Cette violence qui ne dit pas son nom s’exerce insidieusement, hors des espace-temps officiels et semble facilitée par les nouvelles technologies. Sa circulation à bas bruit, voire anonyme, peut être un des facteurs de la destruction. SMS, réseaux sociaux ne permettent pas au ou à la blessé·e un échange simultané qui pourrait éclaircir les causes de l’agression et dans le meilleur des cas entraîner une explication, voire des excuses qui en atténueraient la gravité ou permettraient au moins une guérison plus rapide.
Quand la violence, à la faveur du médium utilisé, étouffe toute riposte, toute tentative de mise au point, elle prend, aggravée par son caractère visuel une dimension d’absolu qui trace une frontière protégeant l’agresseur et isolant la victime. L’impunité accroît la force de l’attaque. On ne parlera pas d’abus de pouvoir (expression tautologique) mais d’exercice d’un pouvoir qui en soi est un abus.
Comment la surmonter, en triompher ?
En s’en prenant à ce qui en est le ressort : sa privatisation, son secret. En la dévoilant.
D’abord par le témoignage autour de soi, dans un réseau de connaissances le plus large possible, puis en la rendant officielle, voire médiatique, ce qui porte l’information et le débat afférent au plan politique comme il en a admirablement et efficacement été ces dernières années pour les violences sexuelles. Ainsi sera mué le scandale d’une attitude privée en un opportun scandale de condamnation publique, utile à tous et à toutes. “Le scandale vient moins de l’éclat de l’intervention ou de la répercussion sur chacun.e d’une attitude, donc d’une vie non conforme, que de la situation contre laquelle elles se dressent […] Le scandale est dans les réticences, voire la fermeture des instances sociales à l’égalité, et en général à ce qui l’inclut, au progrès humain” 1.
M. C. Calmus
- Chronique 192: Du scandale dans le volume 4 des Chroniques de la Flèche d’Or , Éditions Rafael de Surtis, 2014. ↩︎