Exode

Les millions de personnes fuyant la guerre,

l’attente pour pouvoir franchir un fleuve, une rivière, sur des ponts de fortune,

les attaques aériennes,

les morts qu’on laisse sur le bord de la route,

le chat oublié dans l’appartement.

L’arrivée aux abords d’une ville,

la décision de prendre les petites routes,

à droite ou à gauche ?

L’arrivée au bout de plusieurs jours dans un village,

exode de Lille jusqu’en Bretagne.

On me l’a raconté,

c’était en juin 1940,

je suis née en octobre 1940,

on m’a dit que ma mère, enceinte, avait plongé sous une table de billard pendant un bombardement,

je suis arrivée trop tôt.

Une impression de déjà vu m’a saisie quand sont apparues des images d’Ukraine : les routes encombrées de réfugié·es. Pourtant, sur la route de l’exode de 1940, je n’étais pas encore née.

Mais je connais vraiment le bruit sourd d’une colonne de blindés. Je connais le tremblement dans le sol, dans tout le corps. C’est gravé quelque part dans ma mémoire et ressurgit maintenant.

En 1968, une colonne de blindés est venue prendre position dans la forêt, près de Rouen. J’ai bien reconnu ce bruit sourd, je l’entends encore. Je crois l’entendre quand je vois les images de la guerre en Ukraine

J’ai passé une partie de ma vie à manifester contre le stationnement de fusées américaines tout près de là où je vis, contre les manœuvres des blindés dans les rues étroites, bordées de maisons du Moyen-Âge. J’ai manifesté contre le réarmement de l’Allemagne, contre l’adhésion à l’OTAN.

Et voilà que tout cela serait pure naïveté et aveuglement ?

J’ai quelques certitudes : les marchands de canons ont de beaux jours devant eux.

Ceux qui prennent la décision d’attaquer, de détruire, de tuer, sont bien au chaud. Ils mentent, comme il est dit dans une chanson qu’on entendait beaucoup dans les manifs pacifistes.

Mon admiration sans borne va à la jeune femme qui, à la télévision russe, à une heure de grande écoute, a osé brandir dans le dos de la présentatrice impassible une pancarte écrite à la main :

“No war

Arrêtez cette guerre. Ne croyez pas la propagande, on vous ment”

Ici, en Allemagne, des milliers de personnes arrivent d’Ukraine, surtout des femmes et des enfants. 

Ils/elles ont des conditions d’accueil très différentes des réfugié·es venu·es de Syrie ou d’Afghanistan. Pas besoin de demande d’asile, aide sociale immédiate, assurance maladie, liberté de circulation.

Au foyer de demandeurs d’asile de Lich, ils/elles viennent de Syrie, Géorgie, Nigeria, Somalie, Congo, Éthiopie, Érythrée. Tous/toutes ont un handicap ou sont malades (leucémie, cancers, problèmes cardiaques). Notre groupe restera auprès d’eux/elles, ces migrant·es de 2ème classe.

Mais l’exil est toujours un traumatisme. Pour les adultes et pour les enfants.

On constate que l’intégration des réfugié·es de 2015, 2016 est un processus qui est loin d’être achevé.

Une question se pose : quelle sera l’acceptance dans la durée d’une migration qui dépasse tout ce qu’on a vécu depuis l’arrivée massive des Allemand·es des territoires de l’Est après la seconde guerre mondiale ?

Françoise Hoenle