Tombée sur l’édito de Marianne du numéro 1306 (du 24 au 30 mars 2022), tombée de ma chaise. Dans son texte Trois femmes, Jacques Julliard entreprend de louer les mérites et le combat de trois russes, Svetlana Alexievitch, Anna Politkovskaïa, Marina Ovsiannikova, dénonçant le régime de Poutine, “cet ensemble de cruauté, de paranoïa et de despotisme sous lequel la Russie vit depuis vingt ans”. Et de s’écrier en conclusion : “Gloire à ces femmes courageuses ! Gloire à ces héroïnes !”. Puis d’enchaîner avec cette phrase : “Les féministes françaises pourraient trouver dans leur exemple une inspiration qui nous changerait de leurs minauderies de salon et de leurs scandales en peau de lapin”. Attaque gratuite, sans lien aucun, source d’ébahissement teinté de consternation.
On pense d’abord à un curieux amalgame entre femme et féministe, puisque ces trois femmes sont comparées aux féministes françaises : serait-ce à dire que J. Julliard les considère comme féministes russes à la raison qu’elles mènent un combat politique ? À ce compte-là, Marine Le Pen serait féministe, et moi, le pape. Ou J. Julliard a-t-il voulu dénigrer la lutte féministe en général en la rapportant à un combat politique plus noble à ses yeux ? Et en ce cas, pourquoi les féministes françaises sont-elles épinglées plus que d’autres ?
La confusion portée par cette phrase qui vient comme un cheveu dans la soupe le dispute à l’atterrement de la voir figurer dans l’édito de l’hebdomadaire. Surtout qu’un peu plus loin dans le même numéro, un encart d’Émilien Hertement d’une page consacrée à la traite sexuelle des Ukrainiennes dans un contexte de recrudescence du proxénétisme lié au conflit, où les réfugiées deviennent des proies fragiles, cite Sandrine Goldschmidt, de l’association féministe Le Nid, qui craint une aggravation sur le terrain de cette traite. Encore, sans doute, un scandale en peau de lapin… Mais peut-être simplement que J. Julliard n’a pas compris que, si la libération des femmes viendra d’elles-mêmes, le combat social du féminisme pour l’égalité des femmes et des hommes n’a pas de sexe. François Poullain de La Barre, précurseur du féminisme avec De l’Égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés (1673), à qui on doit la maxime “l’esprit n’a pas de sexe”, pourrait le lui en remontrer. L’éditorialiste français pourrait trouver dans son exemple une inspiration qui nous changerait du déni de l’oppression sexiste, transversale à toutes les horreurs dont la guerre, et au-delà du déni, des attaques envers les femmes qui luttent contre. N’a-t-il donc rien de plus glorieux à faire que de se livrer à ces minauderies machistes de salon ?
Claire Demel