Nous publions ci-dessous une tribune libre d’Emancipation dans la publication de la FSU 29.
Nulle envie par ce titre d’invisibiliser la date du 18 septembre contrairement à certains syndicats, dans notre fédération même, mais il est très clair que cette dernière date ne peut se comprendre sans parler du ‘10S25’.
L’importance du mouvement des ‘gilets jaunes’
La filiation est évidente bien sûr: une colère initiale forte, un appel venant des réseaux sociaux et mal identifié dans un premier temps, et des réponses multiples un peu partout, une envie de se réunir et de discuter des modalités de la mobilisation. Cette volonté de se raccrocher à ce moment fort de la lutte de ces dernières années se comprend: quel autre mouvement a réussi à arracher quelque chose de tangible depuis 2006? Alors, certes, ce ne fut pas la révolution, la hausse de la prime d’activité pour les bas salaires, la suppression de la CSG pour les petites retraites ou encore le retrait de la taxe carbone injuste, mais ce n’est pas rien loin de là quand on regarde l’acharnement de cet extrême-centre à faire avancer ses réformes mortifères. D’ailleurs, le mouvement ‘bloquons tout’ a certainement participé à faire reculer le gouvernement avant même le 10 septembre en le poussant à la démission face à la promesse d’une forte contestation et d’un mouvement difficilement saisissable. Ne nous leurrons pas non plus cependant: les enjeux parlementaires et électoralistes ont certainement autant joué sinon plus.
Cette effervescence, ces groupes de discussion Télégram, cette capacité à attirer des publics divers allant d’une jeunesse révoltée et notamment dans certains lycées (l’Harteloire à Brest), à des militant.es plus aguerri.es comme à Morlaix proposant des endroits nouveaux (Roc’h Tredudon) et des modalités joyeuses (une gavotte sur un rond point à Rostren en plein pays Fisel, on aura tout vu!) ont participé à rendre cette journée quelque peu spéciale et à rendre visible la crise sociale, économique et politique actuelle s’il le fallait encore. Aussi, la préparation fut donc énorme tant par le nombre de personnes engagées que par le temps qui y a été consacré…pour finalement n’être qu’une seule journée sans réelle reconduction! En cela, il y a une vrai différence avec le (début) du mouvement des gilets jaunes car les impasses de l’organisation, des modalités de mobilisation et des débouchés sont apparues beaucoup plus rapidement. On pourrait conclure que ce fut un échec et essayer de l’analyser en terme de rapport de classe permettant ici, aussi, de s’éloigner de ce que fut le début du mouvement des gilets jaunes1 . Mais ce serait aussi sans doute un peu vite oublier l’action des directions syndicales dans la période.
A quand un réel bilan de la défaite des retraites de 2023?
En effet, difficile de ne pas être frappé par les réactions des directions syndicales (nous ne parlons pas bien sûr de celles dont on attend plus rien depuis bien longtemps comme la CFDT) lors de l’émergence de ce mouvement. Il a fallu attendre un long moment avant de voir la CGT et Solidaires dans un premier temps, poussé.es par leur base, appeler à la grève avant d’être rejoint.e par la FSU. Il y avait certes des coups à prendre tant certains secteurs de la contestation ont développé des discours anti-direction syndicale depuis plusieurs années. Mais à quoi servirait nos organisations si elles n’étaient pas assez solides pour recevoir ces critiques y répondre de manière adéquate et ainsi évoluer? L’apparition d’une date trop loin de la première, le 18/09, ou ce soi-disant ultimatum qui redonne l’initiative au premier ministre au moment où la contestation sociale est la plus forte depuis deux ans ne va pas arranger les liens entre ce mouvement que l’on pourrait nommer ‘auto-organisé’ et nos syndicats. Cela apparait malheureusement comme la volonté d’une bureaucratie de reprendre la main sur le mouvement pour rester les interlocuteur.rices privilégié.es dans un dialogue social apaisé2. Pire, cela va alimenter les invectives faciles et invisibiliser les nécessaires analyses des mobilisations actuelles. Car il faut les interroger, on l’a vu pour le 10S25, mais aussi celle du 18/09 et de ses éventuelles suites qui ne font que trop penser à la défaite des retraites de 2023 et ses journées d’action inutiles car trop espacées et pas à la hauteur de la bataille menée par la bourgeoisie actuellement.
Les formes de mobilisation, le maintien d’une intersyndicale avec des syndicats dont la tendance au pourrissement de tout mouvement social n’est plus à démontrer, ou encore la prise de distance avec des actions des différents collectifs locaux (on peut penser à la marche entrepris entre les Monts d’Arrée et Brest par plusieurs dizaines de militant.es afin d’aller à la rencontre des habitant.es pour discuter des revendications, de la situation locale…) pourraient être re-discutés collectivement à la faveur de ces mouvements afin de mener les luttes ensemble en articulant nos différences plutôt que de les opposer. Et on doit le faire vite pour ne pas perdre la dynamique de ces journées d’action, dynamique indispensable pour faire face aux attaques de plus en plus fortes sur le plan social, environnemental, international ou encore pour lutter contre la militarisation de nos sociétés.
Passage non intégré dans la version finalement envoyé car pas trouvé d’articulation (tout en ne me faisant pas d’illusion sur l’éloignement de la FSU sur cette proposition!):
Enfin, pour nos organisations syndicales et sur le plus long terme, ce serait aussi une façon possible de renouer avec une forme de dynamisme et notamment par un travail autour de la syndicalisation de toute une partie de secteurs actuellement peu présents dans les mobilisations (mais davantage le 10 que le 18), c’est-à-dire les travailleur.ses dé-qualifié.es travaillant dans la logistique, la grande distribution, le transport…(r)amenant par là de réelles armes à nos organisations dans la lutte des classes actuelle.
1 on pourra lire avec attention les productions du site https://sans-treve.org/ qui voit dans la préparation et l’échec du 10S25, le signe d’une ‘lutte des classes, celle des classes d’encadrements (comprendre les profs, éduc, étudiants, artistes…) pour la reconquête d’une hégémonie politique’ perdue depuis les années 2000. Analyse intéressante qui mériterait quelques nuances et précisions tout de même.
2 Ce que Nicolas Framont nomme ‘les professionnels de la contestations sociales’ dans son dernier livre, Saint Luigi : Comment répondre à la violence du capitalisme ?
