Le congrès académique du SNES de Nice a été marqué par des débats importants : sur la laïcité, l’organisation du second degré, les menaces du pouvoir (attaque sur les statuts, « choc des savoirs ») et les revendications à y opposer… mais il reste peu offensif sur les perspectives de lutte, et aussi sur le projet d’école et de société à opposer au capitalisme et à ses offensives. Ci-dessous l’intervention liminaire d’Emancipation.
Bonjour camarades. Je suis un militant de la tendance Émancipation (si vous ne la connaissez pas, nous avons apporté un lot de Revues pour vous aider à combler ce manque…), secrétaire du S1 du lycée de St Maximin et ayant représenté la FSU dans une intersyndicale locale – celle de Brignoles – lors de la lutte sur les retraites (il faut avouer que cela n’était pas toujours facile au vu de certaines annonces de l’intersyndicale). Je commencerai en disant que je suis d’accord avec les interventions introductives d’Unité & Action… sur un point : il est nécessaire dans nos débats de partir de la situation actuelle, et des luttes à mener. Il est utile de ne pas se concentrer uniquement sur le passé dans le cadre du complément au rapport d’activité, mais aussi d’aborder dès maintenant les tâches de l’heure. C’est là que les choses plus complexes commencent. Certes nous sommes un syndicat du second degré, mais ce qui arrive au second degré ne peut pas être séparé de ce qui se passe dans l’Éducation nationale en général : nous devons nous en occuper. De même que nous ne pouvons pas séparer nos luttes de celles de la fonction publique, ou du monde du travail en général… voire de ce qui se passe au niveau international.
Une instabilité politique, sociale et écologique au niveau mondial
Je partirai de ce point de vue, et d’un document peut-être un peu inhabituel dans un congrès syndical : une note de la Banque mondiale de janvier 2024, sur la situation économique. Elle affirme que 2024 sera une année encore plus difficile que 2023, qui était l’une des plus difficiles depuis la crise mondiale de 2008… et la Banque mondiale en conclut une accentuation de l’instabilité économique mondiale pour 2024. Ce qu’elle ne peut pas dire (mais nous, nous pouvons le dire !), c’est que cette instabilité économique s’accompagnera probablement d’une instabilité politique et sociale. Elle est déjà là, au niveau mondial, avec la colossale augmentation des budgets militaires pour la guerre.
Dans cette situation, dans de nombreux pays capitalistes dominants, la bourgeoisie met en place une politique axée sur deux éléments qui d’ailleurs sont liés entre eux :
– à l’extérieur : renforcer la lutte des puissances pour les marchés, en militarisant à outrance ; pour cela, il faut réaffirmer la domination néo-coloniale sur les peuples des pays dominés. C’est le sens de ce qui se joue aujourd’hui même en Palestine : le gouvernement israélien à tendances génocidaires peut faire ce qu’il veut, car il est soutenu presque sans nuances par les principales puissances capitalistes. De ce point de vue, nous ne comprenons pas la phrase du rapport préparatoire (fiche 8 du thème C) : « Les mobilisations qui ont eu lieu ont pu donner l’impression qu’il s’agissait de choisir un camp »… bien entendu qu’il s’agit de choisir un camp : celui de l’anti-colonialisme et de l’anti-racisme, celui des droits humains fondamentaux piétinés par un État oppresseur, celui de la lutte contre l’apartheid !
– à l’intérieur : le trait le plus visible dans nombre d’États qui se proclament démocratiques, c’est la conjugaison entre la « baisse du coût du travail » et l’autoritarisme d’État croissant ; à tel point qu’aujourd’hui la frontière considérée comme classique entre les libéraux plus ou moins démocrates d’une part, les extrêmes droits autoritaires d’autre part… est de plus en plus ténue, c’est plutôt une sorte de continuum. Cet autoritarisme leur est nécessaire pour diviser le monde du travail, car ce dernier n’accepte pas les politiques d’austérité et de « baisse du coût du travail ». De même les mesures xénophobes et le racisme d’Etat, reconnu officiellement avec la loi Darmanin en France, sont nécessaires au maintien de leur système économique et social.
Rompre avec des stratégies syndicales qui mènent à l’échec
Dans cette situation, la question de la stratégie syndicale est posée. Le rapport préparatoire part de l’intersyndicale constituée sur les retraites, comme d’un modèle à suivre (même si la notion de « victoire morale » dans la lutte sur les retraites, adoptée par le CDFN de la FSU, n’y figure pas… il faut dire que c’est difficile à défendre auprès de la base). Cette question est importante, car nous allons devoir réaliser l’unité pour faire face aux agressions annoncées ou en cours : loi Fonction publique, plan d’austérité, « choc des savoirs »… ces attaques ne sont ni amendables ni négociables. L’unité est nécessaire pour obtenir leur retrait, mais l’unité sous quelles formes ? Autrement dit : comment lutter ensemble ?
De ce point de vue, il y a des réflexions à tirer des luttes récentes, notamment sur les retraites :
– ce qui nous est présenté comme un modèle à suivre, c’est une intersyndicale alignée sur la direction CFDT, intersyndicale qui n’est pas « historique » comme cela a pu être dit… mais au contraire reproduit le même schéma qu’en 2010 avec quelques différences (la revendication du retrait de la réforme des retraites par exemple)… mais avec le même résultat. Cela implique une une intersyndicale focalisée uniquement sur les « journées d’action », ne cherchant pas à s’appuyer sur l’auto-organisation et les AG de personnels pour reconduire la grève jusqu’à la victoire. Or, comment penser un mouvement social de masse sans que les travailleurs et travailleuses en lutte ne contrôlent leur grève ? Les intersyndicales qui se réunissent le soir de la grève pour décider une nouvelle « journée d’action », cela paralyse les AG qui sont bloquées pour prendre des initiatives de peur de se retrouver en porte-à-faux face aux décisions de sommet de l’intersyndicale.
– ce qui nous est présenté comme modèle, c’est aussi une intersyndicale respectant totalement les institutions de la 5e République et les rythmes parlementaires, au point de jeter des illusions y compris sur le conseil constitutionnel. Ainsi un communiqué de l’intersyndicale varoise nous affirmait sans rire que le conseil constitutionnel est « le gardien de nos droits et de nos libertés »… on a vu ce qu’il en était ! Sur Brignoles, nous n’avons pas produit ce genre de texte, mais des tracts énonçant certains faits : que Macron et sa réforme n’étaient pas légitimes, que le système capitaliste est en cause, que la question de la grève générale se posait.
– ce qui nous est présenté comme modèle, c’est enfin le refus de converger avec d’autres secteurs en lutte contre le pouvoir et ses réformes, au même moment : par exemple les « Soulèvement de la Terre », la gauche de la paysannerie, etc. Pourtant c’était possible : ainsi sur Brignoles nous avons travaillé avec la confédération paysanne – refusée dans toutes les intersyndicales varoises alors même qu’elle soutenait notre lutte. Ces contacts avec le monde paysan nous auraient été utiles, quand on voit ce qu’il se passe depuis plusieurs semaines.
Certes, cette logique n’est pas nouvelle, en tout cas de la part de l’exécutif de la FSU et des autres organisations syndicales. Mais pour nous c’est avec cette logique qu’il faut rompre, celle des pseudo-compris dans le cadre du « dialogue social » avec les gouvernements bourgeois. Cette logique de compromis mène à l’échec, il est nécessaire de lui substituer une logique de rupture avec le capitalisme.
Quentin Dauphiné, le 22 février 2026