Congé de maternité
Les droits arrachés par les travailleurs et travailleuses sont des droits collectifs qui limitent l’exploitation patronale, assurent une certaine protection et créent une solidarité entre les salariés. Aujourd’hui, l’offensive contre les droits collectifs transcrits dans le code du travail conduit à l’individualisation, à l’alignement du droit du travail (avec des droits collectifs) sur le droit civil qui régit les rapports d’une personne à une autre. Or, c’est souvent au nom de “l’égalité des droits civils” entre les hommes et les femmes (cf. le droit de vote, le droit de gérer librement son compte bancaire sans se soumettre à l’autorité de son conjoint…) que les droits des femmes salariées sont attaqués. C’est le cas avec la mise en cause actuelle du congé de maternité dont rend compte un article paru dans le n° 9 de la revue de mai.
Une attaque justifiée par les assertions d’un “féminisme” bourgeois, tel que le défend, entre autres, Brigitte Grésy, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) pour laquelle il faut “passer d’une logique de protection des femmes sur le marché du travail à une logique d’égalité”.
D’où l’importance de rappeler que le congé de maternité est un “droit du travail”, un droit collectif arraché par les luttes ouvrières et qui assure une protection vis-à-vis de l’employeur.
C’est avec la revendication du “droit au travail”, brandie lors de la révolution de 1848, que les ouvriers affirmaient leurs propres intérêts de classe face à la bourgeoisie. Et c’est avec le développement des combats ouvriers lié à la grande industrie qu’ont été arrachés les acquis essentiels des travailleurs et travailleuses et que se sont construites les organisations ouvrières (syndicats et partis).
Un droit qui met des décennies à voir le jour
La première loi qui limite le travail des enfants à l’âge de huit ans date de 1841. Ce n’est qu’après l’écrasement de la Commune (qui prévoyait “l’instruction laïque primaire et professionnelle, obligatoire et gratuite à tous les degrés”) que la loi de 1872 limite à 12 ans (après le certificat d’études) l’âge minimum d’embauche des enfants et interdit le travail de nuit. Avec la scolarisation obligatoire et gratuite (lois Ferry 1881,1882), l’emploi industriel des jeunes enfants tombe à moins de 5 % à la veille de la Première Guerre mondiale.
Après la répression de la Commune, suite à l’amnistie des Communards, dans les années 1880, on assiste à une renaissance lente du mouvement syndical en relation avec les organisations se réclamant du socialisme.
Une loi de 1892 vise à protéger les corps des enfants et des femmes face à la violence du travail industriel : cette loi réduit notamment le travail des mineurs et des femmes dans l’industrie à 11 heures par jour et interdit le travail de nuit. Mais elle est très mal appliquée, car le patronat s’y oppose (entre autres, dans les ateliers de tissage). C’est aussi à cette date qu’est créé un corps d’inspecteurs du travail.
Le droit à un congé de maternité pour la femme salariée est aussi ouvertement posé.
Les premiers débats apparaissent au Parlement en 1886. Si certains, dans la mouvance du catholicisme social, évoquent la faiblesse physique et intellectuelle des femmes – “êtres faibles” ayant besoin d’être protégés – ou de la “dépopulation” (Selon eux, “la femme a été créée pour être mère ; son devoir l’appelle au foyer domestique”), les libéraux eux s’opposent en général à toute réglementation au nom de la défense de la liberté de choix des femmes. Au nom de l’égalité, les femmes ne doivent pas être placées dans ce qu’ils considèrent comme une situation d’infériorité par une réglementation qui n’affecterait pas les deux sexes.
Dans le mouvement ouvrier, Paul Lafargue (fondateur du Parti ouvrier français, député du Nord de 1891 à 1893) réclame le repos après, mais aussi avant l’accouchement, et le versement d’une indemnité. Il préconise, en vain, des caisses de maternité alimentées principalement par les employeurs.
Congé de maternité et droit du travail
En 1890, une conférence se tient à Berlin, à l’initiative de l’empereur Guillaume II sur le thème du “règlement du travail aux établissements industriels”. Plusieurs pays sont représentés, dont la France. C’est à l’unanimité que le texte suivant est adopté : “Il est désirable que les femmes accouchées ne soient admises au travail et dans les mines que quatre semaines après leur accouchement”. Plusieurs pays s’efforcent de mettre leur législation en harmonie mais la France ne le fait pas.
Ce n’est qu’en 1909 qu’est votée la loi Engerand (1). Elle stipule : “La suspension du travail de la femme, pendant huit semaines consécutives, dans la période qui précède et suit l’accouchement, ne peut être une cause de rupture par l’employeur”.
Placé sous l’égide du droit du travail, le congé de maternité de la loi Engerand d’une durée de huit semaines garantit à la mère de retrouver son travail. Mais l’arrêt de travail est facultatif, et il ne consacre pas encore un droit au repos à proprement parler. Et comme il n’est pas indemnisé, les ouvrières qui avaient absolument besoin de leur salaire pour survivre étaient contraintes d’y renoncer.
Mais, dans le mouvement ouvrier, le combat des femmes se poursuit. En 1910, les institutrices obtiennent un congé maternité indemnisé à taux plein, de deux mois. L’année suivante, cette mesure s’étend aux Dames des PTT, puis à toute la Fonction publique en 1928. On doit rappeler que c’est en 1905 qu’est créée la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs et d’institutrices publics (FNSI), laquelle affirme sa volonté d’adhésion à la CGT (fondée en 1898) alors que le syndicalisme est encore interdit aux fonctionnaires. Et en 1899, les ouvriers des PTT qui travaillent à l’installation et à l’entretien des lignes télégraphiques aériennes ou souterraines constituent un Syndicat national des Ouvriers des PTT qui adhère à la CGT.
En 1913, la loi Paul Strauss accorde aux femmes enceintes le droit à un congé postnatal obligatoire, assorti d’une indemnité. On ne peut ignorer l’influence sur la Chambre du vœu voté par le Xe congrès international des femmes tenu à Paris. Mais le congé prénatal reste facultatif et cette loi est peu appliquée. La loi Paul Strauss avait pour objectif de protéger la femme qui a accouché, non pas dans l’intérêt de la femme, mais dans l’intérêt de l’enfant. Ce congé postnatal avait pour objectif de favoriser la natalité et de réduire la mortalité infantile, dans l’intérêt de la nation. Si le sort des femmes enceintes s’améliore un peu après-guerre, on réprime plus lourdement l’avortement, ainsi que la “propagande anti-conceptionnelle” : un médecin qui informe sur la contraception devient passible de prison…
C’est en 1928 que les mères travailleuses se voient accorder, dans le cadre de la loi sur les “assurances sociales”, le droit à la gratuité des soins médicaux, un congé de six semaines avant l’accouchement et six semaines après, et des indemnités compensatrices, faisant désormais des allocations de maternité un droit lié à l’exercice du travail. Acquises à la suite de campagnes syndicales, les assurances sociales de 1928-1930 furent limitées (la CGTU s’opposa à la capitalisation des retraites). La résistance du patronat fut vive (elles furent un jalon dans la préparation de la Sécurité sociale de 1945).
1946 et la conquête de la sécurité sociale
Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale, avec la Sécurité sociale, que l’obligation d’accorder à la femme salariée un congé de maternité rémunéré, son allongement, puis des garanties (quoique insuffisantes) contre le licenciement au retour d’un congé maternité ont été imposées par les luttes. En 1946, il est porté à 14 semaines, avec deux grandes périodes avant et après l’accouchement : le congé prénatal et congé postnatal. La femme salariée de retour d’un congé maternité doit être réintégrée dans son emploi précédent, ou, à défaut, dans un emploi similaire assorti d’une rémunération équivalente.
À partir de 1955, les congrès de la CGT exigent une indemnisation à taux plein des quatorze semaines de congé maternité. Mais il faut attendre 1970 pour qu’il soit indemnisé à 90 %. En 1980, il est porté à 16 semaines (2). Dans le privé, la femme perçoit les indemnités journalières financées et versées par Caisse primaire d’assurance maladie (la CPAM, laquelle couvre les risques de maladie, de maternité, d’invalidité et décès, d’accident du travail et maladie professionnelle). Selon certaines conventions collectives, elles sont directement versées par l’employeur. Le montant est soumis à un plafond ; de nombreuses conventions prévoient des durées et des rémunérations plus avantageuses.
Dans la fonction publique, le congé de maternité est assimilé à une période d’activité pour les droits à pension civile et pris en compte pour l’avancement. La femme fonctionnaire perçoit le plein traitement. Si elle est à temps partiel, elle est considérée comme à plein temps pendant ce congé.
Mainmise de l’État sur la Sécu
De plus en plus de mesures visent à la destruction des fondements de la Sécu.
Avec la décision de transfert du versement de la partie post-natale du congé de maternité, le gouvernement s’autorise à modifier l’organisation ainsi que les attributs et missions des caisses de la Sécurité sociale. Cela participe de la marche à l’étatisation de la Sécu. Le patronat s’est vu imposer en 1945 le système de Sécurité sociale financé par des cotisations sociales (fraction du salaire mutualisée). Mais il ne l’a jamais accepté. De Gaulle avec les ordonnances de 1967, puis Juppé avec son plan en 1995 qui a créé la loi de financement de la sécu (LFSS) ont porté d’importants coups au système.
Financée à son origine par les seules cotisations sociales (partie mutualisée du salaire), elle était gérée de façon paritaire (trois quart des sièges élus par les assurés, un quart de représentants patronaux jusqu’en 1962). Elle connait depuis un empilement de mesures qui imposent une mainmise de l’État de plus en plus forte. Le patronat cherche à reprendre cette masse d’argent qui appartient aux travailleurs et travailleuses et qui échappe au profit capitaliste (en 2018, la Sécu a versé 470 milliards d’euros de prestations sociales, soit l’équivalent de 25 % du PIB français).
Les contre-réformes prises par les gouvernements successifs vont dans ce sens : c’est le cas du développement de la fiscalisation et du processus de liquidation de son financement par la fraction mutualisée du salaire (3) (toutes les exonérations de cotisations sociales sont un véritable vol de cet argent qui appartient aux salariés). C’est aussi le cas de l’actuelle réforme des retraites de Macron.
D’autres mesures plus insidieuses sont prises année après année dans le cadre de la LFSS. C’est le cas de la LFSS de 2023 qui transfère notamment le congé de maternité de la branche maladie à la CNAF, niant ainsi la spécificité des modifications corporelles de la femme avant et après l’accouchement. Cette décision sera un point d’appui pour de nouvelles attaques.
On ne peut aujourd’hui défendre la Sécu sans combattre pied à pied chacune des attaques avancées par les gouvernements successifs. Sans cela la revendication de la Sécurité sociale à 100% n’est qu’un leurre.
Hélène Bertrand
(1) https://www.gouvernement.fr/partage/9762-promulgation-de-la-loi-engerand-premiere-loi-sur-la-protection-de-la-maternite
(2) 26 semaines pour un troisième enfant, 34 pour des jumeaux, 46 pour des triplets.
(3) Dans le privé, la CPAM est financée par les cotisations sociales (lesquelles sont une fraction du salaire mutualisé). Mais avec les exonérations de plus en plus massives de cotisations sociales, aujourd’hui, la part de ces cotisations dans le financement de la CPAM représente moins de 35 % ; le reste est financé par l’impôt. Dans la Fonction publique d’État, le statut de fonctionnaire impose à l’État de financer l’assurance maladie.