Émancipation


tendance intersyndicale

L’écologie sociale face aux programmes d’Histoire-Géographie

A priori, le rapport à la nature étant constitutif de l’histoire des sociétés humaines, leur histoire ne peut faire l’impasse sur le rapport à la nature. De même, en géographie, le rapport à l’environnement est constitutif de la discipline. Enfin, les questions écologiques s’imposent dans la réalité quotidienne.

On pourrait s’attendre à ce que les programmes ouvrent des perspectives pour s’emparer de ces questions. Mais la réalité n’est pas si simple que cela. En préambule, il faut bien entendu rappeler la distance qu’il peut y avoir entre programmes, manuels, et pratiques pédagogiques.

Quelques considérations globales

Il faut faire crédit aux programmes actuels d’une relative continuité et cohérence entre le collège et le lycée. “Relative”, car suivant la structure générale du système éducatif, on note une diversification des contenus après la classe de Seconde. Ainsi les contenus peuvent varier entre classes de Première professionnelle, Première technologique, Première générale et Première de spécialité (1).

Mais la cohérence n’est pas tout, car tout dépend de son contenu. En dehors du cas particulier de la classe de Terminale de spécialité, ce sont plus ou moins les mêmes thèmes, les mêmes notions et les mêmes approches qui prévalent. On peut discerner schématiquement trois points notables.

Le lien avec une approche plus globale

De fait, les programmes d’histoire-géographie se conforment au Vademecum sur l’Éducation au développement durable publié par le ministère en 2019 (et disponible sur Internet). Ce dernier présente une forte tendance à dépolitiser les questions écologiques, et à amener à penser que de simples réponses techniques voire technocratiques suffiront pour faire face à une crise écologique qui par ailleurs n’est pas niée. Le corollaire de cette approche est de valoriser les comportements individuels (les fameux “petits gestes”).

Cette approche est en apparence dépolitisante, mais dans les faits, c’est aussi une logique de classe : elle se situe dans l’imaginaire capitaliste d’un·e “citoyen·ne” abstrait·e, un individu pris isolément de tout contexte politique et social, égal de tou·tes les autres citoyen·nes, avec les mêmes capacités d’action.

Très clairement, on contourne donc non seulement une logique anticapitaliste (mais après tout, peut-on attendre du discours institutionnel qu’il remette en cause le capitalisme ?), mais aussi et surtout une logique amenant à se poser des questions sur le mode de production et l’organisation de la société.

Une différence entre les deux matières

Second point notable : l’histoire-géographie est une discipline qui comporte deux matières (trois en réalité, si on intègre l’Enseignement moral et civique, et si on considère que ce dernier est une vraie matière d’enseignement…).

Si l’on regarde les programmes, la différence est frappante entre histoire et géographie. En histoire, les questions écologiques – et leurs enjeux politiques et sociaux – ne sont clairement pas au cœur du programme (2). En revanche, en géographie la question de l’environnement est incontournable. Car la géographie, c’est l’étude de la manière dont les sociétés humaines occupent et transforment leur environnement. Pour être plus clair : l’espace est modelé par les sociétés humaines, autrement dit il est modelé par le capitalisme (ce n’est bien entendu pas la façon dont les programmes le traitent).

Car le capitalisme ce n’est pas seulement une organisation économique, mais aussi un rapport social de production : il aménage l’espace (du local au mondial) selon les besoins de l’accumulation du capital. Autrement dit, la géographie devrait aussi être l’étude de la transcription des rapports de classes et des oppositions de classes : ce que dans cette discipline on appelle parfois – sous une forme très euphémisée et dépolitisée – les “conflits d’usage”.

Il faut remarquer que même dans le cas de la géographie, les questions écologiques “qui fâchent” ne sont pas évoquées vraiment dans les programmes : ainsi il n’y a qu’un seul programme – la première professionnelle – où la question du coût écologique de l’accélération des échanges par le biais de la conteneurisation… est évoquée.

Les axes structurants des programmes

On aura donc compris que c’est dans la géographie que les programmes envisagent les problématiques écologiques sur des positions très discutables. On peut remarquer que quelques constantes reviennent dans la structure des programmes. Trois concepts sont récurrents : la “mondialisation”, la “recomposition des territoires”, la “transition écologique”. Ce dernier concept est central, il tend à remplacer très officiellement celui de “développement durable”. Mais dans une logique tout à fait discutable, et guère meilleure. En effet, un processus de transition désigne habituellement la période séparant deux situations différentes et nettement identifiées. Dans les programmes d’histoire-géographie, la “transition” est présentée comme un processus permanent… autrement dit, le contraire d’une transition ?!

On peut comprendre l’apparente contradiction de la notion de “transition écologique” en la raccrochant à la limite des programmes eux-mêmes : la transition, c’est l’adaptation permanente du système capitalisme aux conséquences écologiques que le capitalisme a lui-même engendrées ! On revient ici à la question de la dépolitisation et de l’approche technique des problèmes de l’écologie politique et sociale.

Cela dit, il faut remarquer que quelques thèmes présents dans les programmes permettent à l’enseignant·e de s’en emparer pour réaliser un travail pédagogique abordant de manière intéressante ces questions. Ce sont les questions des “ressources” (eau, énergie), des “mobilités”, de la métropolisation / urbanisation, des conflits d’usage entre acteurs pour l’utilisation d’un espace…

La spécificité de la Terminale de spécialité

Le programme d’enseignement de spécialité présente beaucoup plus d’intérêt et de potentialités. Avec une limite majeure qu’il faut rappeler tout de suite, à savoir la grande disparité entre le “tronc commun” suivi par tou·tes les élèves, et la “spécialité”. L’enseignement de “tronc commun” tend au zapping chronologique sans approfondissement réel, parfois avec une structure discutable, et un contenu politique très lié au “roman national” et à l’idéologie officielle. L’enseignement de spécialité, lui, a le mérite de développer des approches qui permettent de développer des réflexions et pratiques pédagogiques intéressantes. De fait, l’environnement est présent au programme pour une durée horaire d’environ un mois et demi, à raison de six heures par semaine. Le programme incite à aborder les débats autour de l’Anthropocène, du changement climatique, les enjeux politiques et géopolitiques autour des ressources et de l’environnement y compris dans le passé, les mobilisations écologiques… on peut même trouver des études de cas sur la lutte pour défendre la forêt du Morvan contre son industrialisation. Avec toutefois une importante nuance : la nécessité absolue de “boucler” le programme en mars pour l’épreuve nationale de spécialité, ce qui contraint de fait énormément les pratiques pédagogiques.

Et qui pose du coup un autre problème : on peut difficilement réfléchir de manière conséquente à une pédagogie progressiste concernant les enjeux écologiques… sans être amené·e d’une façon ou d’une autre à remettre en cause la réforme du lycée de Blanquer et sa fonction accentuée de tri social par le biais de “Parcoursup”…

Quentin Dauphiné

(1) Les “spécialités” sont les enseignements à fort horaire et à fort coefficient pour ce qu’il reste du bac national, introduits par la “réforme” Blanquer du lycée. Ici, il s’agit de la spécialité HGGSP (Histoire, géographie, géopolitique, sciences politiques).

(2) Même s’il est vrai que dans toutes les classes de la 6e à la Terminale, on pourra trouver ici où là une phrase posant la question du rapport des sociétés humaines à l’environnement.