Comme le dit Jacques Rancière, l’égalité est au départ. Mais on la perd de vue dans l’exercice multiple, collectif ou individuel, public ou privé, du pouvoir. Par une lutte sur tous les terrains et de tous les instants, il faut donc la retrouver ou la rétablir.
L‘inclusion volontaire des marques des exclu·es est sporadique, ne s’exerce que sur un plan précis : en ce qui concerne le féminisme, celle dont on parle le plus actuellement, à revers du masculinisme de la langue, est d’ordre grammatical. Cette polarisation peut amener à oublier la complexité du problème et la multiplicité des lieux et des temps où mener les luttes.
Le fond commun des inégalités de genre est la réduction des femmes à leur apparence et à leur utilité matérielle, pratique (1).
Leur situation économique en fait les frais : inégalité des salaires et aussi des retraites lorsque comme souvent dans le commerce et l’agriculture, les conjoints évitent de déclarer leur compagne professionnellement. La maternité avec ses absences forcées, aggrave cette situation.
La prééminence de leur apparence et la négation subséquente de leur être autorisent de la part des hommes tous les débordements : dans la rue, interpellations, sifflets, remarques moqueuses et salaces, ou pure ignorance quand pour eux le compte esthétique n’y est pas.
Par voie de conséquence, agressions diverses qui peuvent aller jusqu’aux viols, aux enlèvements, aux assassinats.
Sur le plan professionnel à part certaines fonctions où elles sont intégrées depuis longtemps comme l’enseignement (apparenté obscurément au maternage ?) les femmes doivent faire le double d’efforts pour être traitées, considérées à l’égal des hommes. Elles n’y parviennent pas toujours. Ce mépris de l’autre genre se retrouve dans la vie privée où le travail domestique continue d’être assumé majoritairement par les conjointes et mères et leur vaut parfois – plutôt davantage à présent où elles revendiquent et obtiennent leur part de vie sociale – toutes sortes de mauvais traitements dont la gamme, depuis le psychologique jusqu’au temporel, peut aller jusqu’au crime.
L’inclusion linguistique ou scolaire
Face à cette réalité, l’inclusion linguistique peut paraître bien dérisoire et artificielle.
Formellement elle me semble compromettre par des lourdeurs l’équilibre d’une langue fluide, harmonieuse au moins à nos oreilles, physiques comme littéraires.
Cette menue réparation d’une inégalité générale, profonde, tenace, fait songer aux formes de discrimination positive, elles plus conséquentes, quant aux origines géographiques, civilisationnelles et sociales.
Sur le plan scolaire, le élèves des classes professionnelles admis à Sciences Po, ou bénéficiant de trois ans de préparation aux grandes écoles selon les quotas institués, parviennent-ils, malgré la bonne volonté des enseignant·es, des élèves eux et elles-mêmes au bout de leur cursus, ou aussi brillamment ? L’égalité ne se décrète pas. Il y faut un bouleversement général.
En témoigne l’enquête menée par les sociologues Cédric Hugrès et Tristan Poullaouec sur les chances réduites d’obtention des diplômes d’enseignement supérieur par les élèves venus des classes populaires (2).
Un large système de bourses disparu et la situation économique oblige ces étudiant·es à prendre un emploi parallèle qui compromet leur assiduité et leur travail universitaires.
Dans tous les domaines l’aggravation des inégalités est un problème politique inhérent au système néo-libéral. L’inflation actuelle qui écrase les plus pauvres est due non seulement au renchérissement conjoncturel de l’énergie mais aux manœuvres anticipées de longue date de spéculateurs financiers sur les produits de première nécessité comme les céréales.
Plus qu’inclure çà et là, c’est exclure et détruire les mécanismes de la machine politico-sociale qui devrait monopoliser nos préoccupations et nos efforts.
Marie-Claire Calmus
(1) La vie Matérielle, Marguerite Duras, Folio n° 2623, 2022.
(2) L’Université qui vient. Un nouveau régime de Sélection scolaire. Raisons d’Agir, 2022.