Edito
Depuis janvier, des millions de travailleurs et travailleuses, précaires, féministes, jeunes, gilets jaunes… qui se mobilisent pour le retrait de la “réforme” des retraites. Par la grève et la manifestation, par des actions d’occupation, de blocage, de reconduction de la grève, d’occupation des places… Ils et elles le font à l’appel d’une intersyndicale très large, ou plus exactement malgré les limites de ces appels.
À cet égard, la discussion ne porte pas sur l’unité syndicale en soit, mais : sur quelle orientation ?
Jusqu’à maintenant, l’intersyndicale porte la revendication de retrait de la réforme, qui est effectivement pleinement justifiée. Mais comment l’obtenir ? Elle veut mobiliser le plus possible de gens dans des grandes manifestations lors de “journées d’action” : plus que le nombre de grévistes, l’essentiel est le nombre de manifestant·es. Car le but est de montrer le soutien de l’“opinion publique”, pour faire reculer le gouvernement.
Cette stratégie montre ses limites. Divers courants ou sites révolutionnaires ou se prétendant comme tel, estiment parfois que la politique de l’intersyndicale ne pose pas de problème (toutes les difficultés reposant sur la “base” pas mobilisée) ou à l’inverse qu’il suffirait de l’ignorer au profit de la seule construction de la lutte à la base.
Mais nous sommes dans une lutte à caractère national. S’il est tout à fait justifié d’essayer d’impulser l’auto-organisation des luttes à la base (AG souveraines et grèves reconductibles), un cadre national est nécessaire y compris pour favoriser leur développement et leur généralisation : par la coordination des AG et secteurs en lutte. Mais aussi par une intersyndicale qui s’appuie sur cette auto-organisation, ses revendications et formes d’action.
La force du monde du travail c’est le nombre, mais aussi la capacité de “bloquer l’économie”, autrement dit démontrer que la société ne peut pas fonctionner sans lui. C’est pourquoi les grèves des raffineur·es, des cheminot·es, des éboueur·res… jouent un rôle majeur dans ce mouvement, les soutenir concrètement et tâcher d’étendre ces grèves aux autres secteurs doit constituer un axe primordial.
C’est ce que refuse de faire l’intersyndicale nationale. Comme elle refuse de soutenir les actions qui visent les lieux de pouvoir, ou de faire campagne sur la question des violences policières (alors que ce sujet apparaît enfin massivement dans le débat public).
Ces manques sont déjà graves. Une stratégie uniquement axée sur des manifestations nombreuses lors de “journées d’action” a déjà montré ses limites dans le passé : en 2010 déjà sur les retraites, cela a été fait, le prix à payer pour cela fut l’échec du mouvement.
Mais il y a plus grave : depuis peu, alors que le mouvement est prêt de porter l’estocade à ce pouvoir honni et affaibli, des directions syndicales réclament la “pause”, le “moratoire”, la “médiation”, bref un “signe” de l’exécutif pour mettre fin à la mobilisation… ce que par ailleurs personne ne demande dans les secteurs en lutte. Cette proposition tourne le dos à la revendication du retrait, et rendrait à coup sûr plus difficile un maitien ou un nouveau départ de la mobilisation après une éventuelle “médiation”.
Dans cette situation, renforcer les luttes auto-organisées à partir de la base, dans leur diversité actuelle et aussi mener le débat d’orientation dans le mouvement syndical sont tous les deux nécessaires, avec comme exigence : le retrait, et maintenant !
Quentin Dauphiné
(texte rédigé avant les manifestations, grèves et décisions de l’intersyndicale du mardi 28 mars)