Professeure de français dans un collège rural isolé du Haut Var depuis 17 ans, j’ai pour salle de classe un préfabriqué dans un lieu isolé du collège. Pour y accéder, je parcours un chemin de plusieurs minutes, en extérieur, avec les élèves, ce qui m’a permis de les observer dans leurs interactions et leurs mouvements non contraints par l’attitude fixe attendue dans une salle de cours.
J’ai peu à peu pris conscience de la corrélation entre respect de la distance corporelle et interactions apaisées.
En effet, dans chaque groupe classe, quel que soit l’âge, quelques élèves se permettent de bousculer, toucher, frôler, prendre par une partie du corps, les autres, ami·es ou pas, sans s’être assurés qu’iels en ont aussi envie. Je l’ai d’abord fait remarquer, verbalement, sous la forme de défenses du type “ne fais pas”, ou de mise en garde. J’ai cherché ce que qui se jouait, dans cette notion de distanciation sociale, et j’ai trouvé la notion de proxémie.
“Étudiées par Edward T. Hall, les proxémies sont les distances physiques que nous maintenons entre nous et autrui suivant le type de relation que nous établissons avec lui. Ces distances sont équivalentes à des sphères, à des “bulles” qui entourent notre corps, et dont la taille va varier suivant les contextes relationnels dans lesquels nous nous trouvons. Ceux-ci vont de la relation intime, avec un contact corps à corps, aux relations publiques et formalisées, tel le professeur qui enseigne du haut d’une estrade située à une distance respectable du premier rang des étudiant·es.
Ces sphères relationnelles ne sont pas propres à Homo Sapiens en tant qu’espèce mais bien à la culture dans laquelle il est immergé : selon Hall, les rapports de l’humain à l’espace forment une communication structurée qui définit et régule les comportements sociaux de tous les individus appartenant à un même groupe social.” (1).
Il décrit quatre bulles, pour les pays de culture occidentale :
– la sphère intime (inférieure à la longueur d’un bras) ;
– la sphère personnelle (juste au-dessus, entre la longueur d’un bras et celle d’un grand pas) ;
– la sphère sociale (pour s’adresser à plusieurs personnes, entre un grand pas et environ trois mètres) ;
– la sphère publique (distance pour s’adresser à une assemblée, supérieure à trois mètres).
J’ai alors pris l’habitude, comme rituel de début d’année, de me saisir de tout manque de respect manifeste de la sphère intime pour expliciter ces différentes sphères, en montrant à l’élève non respectueux combien il était mal à l’aise quand je rentrais dans sa sphère intime. Puis, pour parer les “on est ami·es” sous-entendant “iel est forcément d’accord”, j’explicite la notion de consentement : être d’accord un jour, n’est pas être d’accord toujours, et tout le temps, que c’est une notion de respect très importante. J’explicite aussi la notion d’intimité, pour d’éventuels rapprochements physiques inappropriés en cours.
S’instaure alors un réflexe, d’abord chez moi puis chez les élèves, de dire le mot “Proxémie !” comme un rappel, dès que la sphère intime est franchie. Pour certain·es élèves, la plupart du temps des garçons, c’est un long chantier personnel de ne pas se considérer comme systématiquement autorisés à rentrer dans la sphère intime de l’autre. Si besoin, j’évoque la situation des transports en commun et des frotteurs.
À quoi je vois que la notion est acquise ? Des déplacements apaisés, un respect plus marqué de la distance au fur et à mesure de l’année scolaire et en cas de transgression, entendre “Proxémie !”, même dans la cour, même quand je ne suis pas à proximité, même quand je n’ai plus les élèves, et même quand iels ont quitté le collège (des ancien·nes me font part de leur souvenir de cette notion par leur frère ou sœur que j’ai ensuite).
Nathalie Vivé, professeure de français
au collège Joseph d’Arbaud, à Barjols (83)
(1) Delamarre Cécile, Chapitre 1. Proxémies, dans Alzheimer et communication non verbale. Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées, sous la direction de Delamarre Cécile. Paris, Dunod, col. Santé Social, 2014, p. 11-28.
https://www.cairn.info/alzheimer-et-communication-non-verbale–9782100554362-page-11.htm