Les femmes dans les métiers de la culture
“Je veux montrer au monde, autant que je le peux dans cette profession de musicienne, l’erreur que commettent les hommes en pensant qu’eux seuls possèdent les dons d’intelligence et que de tels dons ne sont jamais donnés aux femmes”. Maddalena Casulana (vers1544-vers 1590) (1).
Trois grandes familles composent les métiers du spectacle vivant : la création, l’administration, la technique. Les femmes sont, depuis plusieurs années, nombreuses voir majoritaires dans les pôles administratifs et techniques (entretien des lieux, accueil et depuis quelques années les régies), mais plus exceptionnellement dans les postes de direction (de projets ou administrative) et de créations, jusqu’à une période très récente. Depuis les constats du rapport de Renée Prat (2006) la configuration a légèrement évolué, les chiffres ci-dessous en témoignent (Syndeac – 2021).
Quelques données
Concernant la place des artistes, seulement 15 % d’autrices – toutes disciplines confondues – voyaient leurs œuvres interprétées en 2005. Elles passent à 29 % en 2021 avec plus d’autrices dans la danse, le jeune public et la marionnette. En 2005, 22 % des spectacles vus ont été mis en scène par des femmes contre 35 % en 2021 avec, là aussi, une prépondérance pour le jeune public et la marionnette. Serions-nous rattrapées par la systématicité des représentations stéréotypées ? Les enfants, les jouets – vision réductrice concernant l’art de la marionnette.
40 % de metteuses en scène en 2021 sont à la tête des centres dramatiques alors qu’elles n’étaient que 8 % en 2005 – peut être que la création d’un “Théâtre féministe” dès 1897 par Marya Cheliga¹ a rendu les théâtreuses combatives. 34 % dirigent en 2021 des établissements à vocation pluridisciplinaire (théâtre, cirque, danse, musique, chansons) contre 22 % en 2005.
On nous programme moins et moins bien dans des salles à faible potentiel de public, dites salles à petites jauges.
La feuille de route pour l’égalité du Ministère de la Culture (2018) a été en partie mise en œuvre dans le domaine théâtral, avec le soutien des syndicats (Syndéac et SNSP) ainsi que de certaines élues. Certes ces chiffres ne nous racontent pas tout mais ils tissent une réalité, ils nous disent que dans la création notre place peut/doit évoluer.
Il est vital qu’une politique volontariste et de combat perdure à tous les niveaux depuis la base. Soyons exigeantes. J’entends dire que cette “discrimination positive” ne semble pas pertinente, qu’elle favoriserait des œuvres moins intéressantes pendant que de magnifiques créations finiraient injustement dans un placard. Et pourtant ! Ce monde d’artistes masculins est un magicien qui a fait disparaître de l’histoire de la culture tant de nos sœurs peintres, compositrices, musiciennes, autrices de chefs d’œuvre. Ce magicien pendant des centaines d’années nous a effacées de la scène, bien que précédemment nous y fussions présentes. Alors des acteurs interprètent nos vies, investissent nos corps (Théâtre Kabuki, Kathakali jusqu’en 1970…), des chanteurs s’approprient nos voix (les castrats), déconstruisant, reconstruisant ainsi un être féminin.
Un secteur de la musique essentiellement misogyne
Zahia Ziouani chef de l’orchestre Divertimento a parité ressemble encore à une chimère dans les secteurs de la musique – du rock testostéroné à la musique classico-conservatrice. La situation reste catastrophique dans les festivals de jazz – six musiciennes sur 53 artistes pour la saison Jazz à Nevers 2022/23 – et à la direction d’orchestre. À tel point que ce jeudi 9 février se déroulaient à Marseille “Les assises égalité homme femme dans la musique”. Pour des orchestres français, lors de recrutements, il a fallu mettre en place des paravents afin que seule l’interprétation détermine le choix du jury, solution concrète qui a permis que le nombre d’interprètes augmente légèrement. L’Orchestre Philharmonique de Vienne a commencé en 2003 à recruter des musiciennes. La seule femme (depuis 1977) était une harpiste Anna Lelkes – car aucun professionnel ne pratiquait cet instrument. Il était interdit de la filmer lors des concerts. Beaucoup d’étudiantes dans les conservatoires mais peu d’interprètes dans les orchestres, tout cela suscite de passionnantes recherches (2).
J’en reviens à la citation du début, je ne pense pas que les hommes commettaient une erreur en ignorant les femmes artistes. Ils les souhaitaient muses inspiratrices, perpétuels objets de désir sans droit de créer.
Que devons-nous encore mettre en place afin de ne pas retourner sur des scènes invisibles
Faut-il comme au cinéma appliquer le test de Bechdel-Wallace (indicateur de sexisme), aller voir un concert/un spectacle où : “Un : qu’il y ait au moins deux femmes. Deux : qu’elles dialoguent l’une avec l’autre. Trois : qu’elles parlent d’autre chose que d’un homme” ?
Promouvoir plus d’autrices, de metteuses en scène, ce que réalise Maëlle Poésy actuellement au CDN de Dijon, dans sa programmation la parité n’est pas un leurre.
Boycotter un festival où il n’y a que onze chanteuses et deux instrumentistes programmées sur 116 artistes pour un public à 50 % féminin ?
Il faut toujours se battre. Dans la culture, le sexisme est comme le capital, il ne lâche rien.
Élisabeth Diafera
(1) Julie Rossello, Des autrices dramatiques parisiennes dans l’espace public du XIXe siècle (1789-1914), Thèse de doctorat.
(2) Voir les articles et livres de Florence Launay et le site du Creim.