Retraites
C’est le 10 janvier que le gouvernement a présenté officiellement sa réforme. Mais qui pouvait s’attendre à des annonces substantiellement différentes ? L’officialisation du projet a été vite suivie d’un appel intersyndical : c’est nécessaire, mais cela ne règle pas tout.
De fait, s’il est impossible de prévoir ce que seront les prochaines semaines, il est en revanche possible de tirer les bilans des mobilisations précédentes… et de nourrir ainsi le débat militant. Cette question concerne bien entendu le syndicalisme, mais aussi tous les secteurs de la société les plus précarisés, les plus éloignés du mouvement ouvrier organisé, et pourtant potentiellement les plus touchés par le projet Macron !
Clarifier les enjeux
Ainsi, l’accumulation de “journées d’action” hebdomadaires reste l’horizon privilégié des accords intersyndicaux nationaux. Avec les conséquences que l’on connaît : journées de grève sans lendemain et isolement des secteurs les plus mobilisés… À aucun moment, la question de la grève jusqu’au retrait de la contre-réforme n’est posée. L’intersyndicale nationale se borne à évoquer une “première journée” de grève, ne se prononce pas sur le retrait de la réforme (ouvrant ainsi la porte à la négociation d’aménagements de la réforme), n’appelle pas à développer l’auto-organisation.
Certes, dans l’Éducation, l’appel intersyndical va plus loin que celui de l’intersyndicale nationale. Il parle clairement de retrait de la réforme, il appelle “les personnels à se réunir dans les écoles, les établissements, les services, les secteurs… de manière à se mobiliser fortement par la grève dès le jeudi 19 janvier”. La reconduction de la grève n’est pas mise en débat, pas plus que l’auto-organisation de la lutte par les personnels et les convergences avec d’autres secteurs (du mouvement syndical, ou pouvant jouer un rôle dans les lutte comme les “gilets jaunes”). L’organisation qui va le plus loin vers ces perspectives, est – de manière surprenante – la FNEC-FO qui appelle à être “Tous en grève à partir du 19 janvier ! Tous en AG pour décider des suites !”.
Retrait, auto-organisation, coordination des AG et des secteurs en lutte… voici ce qu’il s’agit de poser dans la pratique syndicale : les vœux pieux et autres motions au fin fond d’une instance syndicale, ne suffisent plus.
Il est plus que temps
D’une manière générale, du temps a été perdu : pendant deux mois, l’intersyndicale nationale a menacé d’une journée de grève sans rien de concret. Enfin si, une chose très concrète : la participation à des “concertations” avec le gouvernement, dont les directions syndicales auraient bien du mal à expliquer en quoi elles ont apporté quelque chose… si ce n’est retarder la préparation de la lutte.
Par ailleurs, dans l’Éducation et plus globalement dans la Fonction publique d’État, les directions syndicales ont déployé une grande énergie militante… à gagner les élections professionnelles de décembre 2022, élections dont elles tirent leurs moyens syndicaux (décharges syndicales). Disons-le clairement : une variation de quelques dixièmes de pourcentage pour telle ou telle organisation n’aura aucun impact sur les conditions de travail des personnels (1), surtout quand on voit les “nouvelles” organisations paritaires qui ne permettent plus de défense collective des droits des personnels. En revanche, la contre-réforme de Macron volerait deux années de vie (la vie heureuse, celle non soumise au travail salarié) et des centaines d’euros de pension à des millions de personnes.
Les personnels ont été submergé·es de courriels, des établissements ont été visités… pour des enjeux se situant en général aux alentours de moins d’un point dans le pourcentage d’exprimé·es. En revanche, au lendemain des élections, le calme revenait… alors que les choses sérieuses commençaient.
On le voit : il est d’autant plus indispensable que les personnels s’emparent de la mobilisation, la construisent et la dirigent eux/elles-mêmes en dépassant les divisions catégorielles et les enjeux de boutique. C’est pourquoi, aussi, il est important que les militant·es les plus décidé·es agissent pour faciliter cette auto-organisation, et aider les secteurs en lutte à se coordonner, comme l’avait par exemple esquissé la coordination RATP-SNCF en décembre 2019.
Articuler sections syndicales et AG souveraines
Prenons par exemple le cas des établissements scolaires et écoles du Centre et du Haut-Var (2) : une zone rurale et peu peuplée, lieu d’une dynamique de lutte en 2019. Des militant·es et sections syndicales de base de la CGT, de la FSU et de SUD-éducation avaient constitué une intersyndicale locale, dans le but d’impulser des actions locales et de ne pas se satisfaire des manifestations hebdomadaires à Toulon (toujours au même lieu, toujours à la même heure). Et ce, dans le contexte d’un département où les AG de grévistes ou inter-établissements avaient disparu depuis des années, au profit de cloisonnements syndicaux renforcés.
Tout avait commencé par une AG de grévistes le 5 décembre, débouchant au final sur la mise en place du “Comité de grève Brignoles / Centre-Var”. Membres de l’intersyndicale locale, représentant·es plus ou moins mandaté·es d’établissements, militant·es isolé·es mais souhaitant participer aux actions décidées, s’y retrouvaient.
Car c’est un fait central : contrairement à ce que croient beaucoup d’appareils syndicaux, l’auto-organisation, le contrôle de la lutte par les personnels qui s’y impliquent, si cela se fait sans bluff sur l’ampleur réelle du phénomène et sans caractère artificiel… donne en fait plus et non pas moins de force aux appels syndicaux, et pose aussi la question de relier les réseaux militants à l’œuvre. D’où la nécessité de la mise en place de coordinations, sectorielles et même interprofessionnelles, à tous les niveaux.
Autrement dit, une coordination des AG locales, lieu d’échanges voire d’impulsion d’initiatives communes.
Car souvent, les initiatives locales d’auto-organisation ne “prennent” pas tout simplement car elles se pensent isolées, de même que des personnels ne s’engagent pas dans la reconduction de la grève par crainte (légitime) de l’isolement. Les directions syndicales n’impulsant pas réellement (3) cette démarche pourtant indispensable, il faudra le leur imposer afin d’avoir un vrai plan de bataille contre Macron.
Dans cette situation, les réseaux constitués lors des luttes de 2019 – voire avant – peuvent jouer un rôle positif s’ils sont revitalisés. C’est par exemple ce qui est tenté dans le Centre et Haut-Var, par les sections syndicales CGT/SNES-FSU/SUD-éducation du lycée de Saint-Maximin ou par les personnels du lycée Honoré de Balzac soutenus par leurs sections syndicales SNES-FSU et CNT-STE (voir ci-contre).
Un rapport de forces nourrissant d’autres luttes
La lutte pour le retrait de la réforme Macron est, bien évidemment, une facette d’une lutte contre le système capitaliste et sa soif de profits, rêvant de s’approprier encore davantage les richesses produites par les salarié·es… par exemple en s’en prenant au système de retraites par répartition alimenté par les cotisations sociales (dans le secteur privé).
Mener l’action contre l’offensive macroniste, en plus de structurer une auto-organisation de la lutte, nécessite donc de tisser les liens avec des secteurs extérieurs au mouvement ouvrier traditionnel, mais qui se posent au fond les mêmes questions : collectifs féministes, écologistes, de “gilets jaunes”, organisations de jeunesse… mais aussi avec les personnels les plus précaires et exploité·es, pourtant indispensables au fonctionnement des établissements scolaires : AED, agent·es, etc. ce qui suppose de généraliser les pratiques syndicales de solidarité ouvrière telles que les caisses de grève.
D’autant plus que, victoire ou pas pour le monde du travail, il y aura aussi d’autres projets néfastes à combattre dans l’école publique :
– les contre-réformes qui s’empilent ; ainsi la “réforme” du collège, avec notamment la demi-journée de “découverte des métiers” à partir de la cinquième pour “orienter” les enfants de la classe ouvrière vers les filières courtes et dévalorisées. Ou encore celle de l’enseignement professionnel pour le soumettre totalement aux besoins à court terme du patronat local (les deux n’étant pas sans lien) ;
– l’offensive xénophobe dans les établissements scolaires sous couvert de “laïcité” (et dans le même temps, toujours plus de cadeaux financiers aux établissements privés contrôlés par la hiérarchie catholique) ;
– la soumission de la jeunesse à l’idéologie impérialiste et militariste, avec l’annonce peut-être imminente de la généralisation du SNU (Service national universel).
– le “pacte enseignant” (dont les mesures seront annoncées prochainement) qui programme un alourdissement de la charge de travail et une attaque sur les garanties statutaires.
Quentin Dauphiné, 17/01/2023
NDLR : article rédigé avant la journée de grève du 19 janvier.
(1) De ce point de vue, on peut s’étonner des accents triomphalistes – qu’on croyait réservés à d’autres syndicats – de la part de SUD-éducation, sachant que son siège retrouvé au CSA Éducation nationale est bien davantage dû à un recul de l’UNSA qu’à une progression de SUD…