L’Association France Palestine Solidarité organise des Missions Découverte à destination des jeunes qui souhaitent mieux connaître les réalités palestiniennes. Nous publions ci-dessous le témoignage d’une camarade de retour de ce voyage militant.
Je suis partie en Palestine au mois d’août avec un groupe de dix jeunes de 18 à 29 ans et trois encadrantes, avec l’AFPS (Association France Palestine Solidarité) en Mission Découverte.
L’objectif était de découvrir la Palestine à travers son tissu militant. Nous avons en effet, durant deux semaines, rencontré de nombreux·ses militant·es issues de la société civile : militantes d’Al-Hak (équivalent de la Ligue des Droits de l’Homme), du collectif pour l’éducation de l’université de Bir-Zeit, responsables du centre social de Silwan, de camps de réfugié·es, conseil municipal composé de jeunes adultes, militant·es de collectifs s’opposant à la confiscation des terres palestiniennes…
Je n’avais qu’assez peu de connaissances sur la Palestine, issues des cours partiaux et partiels de mon éducation secondaire, et des discussions avec Pierre Stambul (bien que ces discussions aient plus souvent porté sur mon abonnement ou non à une revue de grande qualité que sur les questions palestiniennes !). J’étais “radicale de gauche” donc pro-palestinienne “de principe”, mais j’avais envie de comprendre, de vivre émotionnellement la situation pour avoir envie de la théoriser au retour. Je savais aussi que ma parole de femme blanche, ayant vu moi-même des choses, aurait bien plus de portée sur mes interlocuteur·trices. Effectivement, je suis rentrée assez choquée par tout ce que j’ai pu voir et entendre.
Un régime raciste
Dès la préparation du départ, j’ai commencé à entrevoir ce que pouvait être un État très militarisé : nous avons tou·tes eu une formation, un week-end à Paris, notamment pour nous préparer à mentir aux “interrogatoires” parfois très intrusifs de l’aéroport de Tel-Aviv, conditionnant notre entrée dans le pays… Et c’est lors de cette entrée que nous avons vu le premier signe du racisme décomplexé et systémique israélien. On m’a laissée passer les contrôles après quelques questions d’usage (et malgré mon cœur à 150 bpm), alors qu’une de nous, ayant un nom arabe, a été interrogée pendant trois à quatre heures… Le seul d’entre nous qui n’a pas pu entrer dans le pays était aussi le seul ayant une origine palestinienne. Il n’a donc pas le droit de retourner dans son propre pays alors que moi j’ai le droit d’y faire du tourisme. Pardon ? ! Mais évidemment, cela suit une certaine logique pour un État qui ne reconnaît pas la Palestine comme une nation. Un État qui considère tout·es les Palestinien·nes comme des terroristes en puissance et qui se livre à une véritable œuvre de lavage de cerveau de ses concitoyen·nes. Ce dernier s’appuie notamment sur un service militaire de deux ans (pour les femmes) ou trois ans (pour les hommes) lors duquel on apprend à terroriser des civil·es innocent·es, à détruire leurs affaires, tout cela pour “rien”, pour le plaisir. Pour des raisons cognitives, il est bien plus facile de se convaincre que “ce ne sont que des arabes”, “tout·es des terroristes”, “c’est pour la sûreté d’Israël”, “ce ne sont pas vraiment des humain·es” et il faut une force morale considérable à des gamin·es de 18 ans pour y résister. Pour plus d’informations à ce sujet, on lira avec profit L’État d’Israël contre les juifs, de Sylvain Cypel, fort bien documenté et sur lequel je m’appuie sur ce point en particulier.
Une prison à ciel ouvert
J’aurais tant de choses à écrire sur ce que j’ai vu et entendu pendant seulement quinze jours. Le mur, déjà. “Clôture de sécurité” d’après la traduction wikipédienne de son nom hébreu. Une “clôture” bien sécurisée en effet, huit mètres de haut, un mètre de large, et 700 km de béton de long quand même. Et cela, sur un territoire de la taille de feu la région Poitou-Charentes. Un mur dont on n’entend plus vraiment parler en France depuis les oppositions à sa construction en 2003, en-dehors des milieux militants, et encore… Un mur qui rend physique, palpable, la séparation (pour ne pas dire épuration) ethnique voulue par Israël. Un mur qui restera, malgré la beauté des tags palestiniens qui le recouvrent, l’une des choses les plus laides que j’ai jamais vues. Mur de séparation des peuples, mur coupant également les paysages.
Les check-points, aussi. Beaucoup de Palestinien·nes vivant dans “les territoires” doivent en passer tous les matins et pour aller travailler (souvent au noir) ou aller à la fac sur le territoire de l’État d’Israël. Il y a une queue immense, qui implique de se lever à trois ou quatre heures du matin pour pouvoir être à l’heure. Le check-point peut être parfois fermé pendant deux semaines, au bon vouloir de l’État d’Israël. Quel·le patron·ne accepterait de garder quelqu’un·e dont on ne sait jamais s’iel pourra venir travailler ? Tout ceci a pour but de renforcer la précarité et la peur des Palestinien·nes.
Ruiner toute installation palestinienne
Un autre point important : les permis de construire. Pour en obtenir un, les Palestinien·nes doivent verser lors de leurs démarches la modique (!) somme de 50 000 dollars, que la plupart ne possède évidemment pas. En admettant même que la somme soit réunie, l’État d’Israël peut refuser d’accorder le permis susnommé. Par conséquent, les Palestinien·nes construisent sans permis et donc, bien sûr, reçoivent les redoutés ordres de démolition. Il s’agit alors pour elles et eux de trouver un·e avocat·e israélien·ne pour aller devant la Cour israélien·ne (la seule reconnue valable par l’État d’Israël), engager des sommes importantes, beaucoup de temps et d’énergie… Pour finalement être débouté·es l’immense majorité du temps. Quelques temps après, viennent alors les bulldozers. Les habitant·es ont alors de 15 à 30 minutes pour empaqueter leurs affaires et partir. Quelle tristesse de voir ces multiples tas de ruines, partout en Cisjordanie (voir photo).
Une politique de la terreur permanente
Trois zones sont définies depuis les accords d’Oslo en 1993 : une zone sous contrôle israélien, une autre sous contrôle palestinien et une mixte. En fait, l’armée israélienne intervient partout en toute impunité ; l’idée étant d’avoir une supériorité ethnique. Par exemple, l’objectif officiel fixé il y a quelques années concernant la ville de Jérusalem était un ratio de 88 % d’Israélien·nes pour 12 % de Palestinien·nes. Aujourd’hui, le taux est davantage proche de 70/30. Ainsi, la vie des Palestinien·nes est rendue très difficile pour les inciter à partir. Des colonies israéliennes s’installent partout de façon légale ou illégale ; les colons sont très souvent agressif·ves.
Les Palestinien·nes vivent de ce fait dans la peur. Nous sommes allé·es à Masafer Yatta dont les habitant·es font partie des plus vulnérables des territoires palestiniens occupés, où iels subissent démolitions et déplacements de manière constante. Un collectif de jeunes s’oppose à ces exactions et à la confiscation des terres palestiniennes : l’homme de 24 ans qui nous a accueilli·es a failli perdre sa jambe, écrasée par un véhicule israélien. Lors d’une nuit sur place, nous avons pu assister à un raid de l’armée israélienne : des dizaines de soldat·es, plusieurs véhicules blindés, une heure sur place, tout cela pour… confisquer une voiture ! Bien sûr, le faire rapidement et en plein jour avec un seul véhicule et quelques soldat·es, ça aurait été bien moins terrorisant et ce n’est donc pas ce qui a été choisi. Ce qui compte c’est maintenir la politique israélienne de la terreur. Qui sont vraiment les terroristes ? Durant le raid, notre hôte est parti se cacher dans la montagne et les enfants sur place ont continué à jouer comme si de rien n’était, car c’est tellement habituel pour elles et eux. De même, nous, qui ne risquions rien au vu de notre passeport français, étions bien plus effrayé·es que nos hôtes sur place.
Le refus du droit de vivre et travailler
Un autre exemple : nous avons visité Ein Samiya, dans les montagnes du district de Ramallah, où vivent 200 Bédouin·es sédentarisé·es de force par l’État d’Israël qui ne les laisse pas être nomades. Ces personnes vivent de l’élevage de moutons : vente de lait et de yaourts. Récemment, quelques colons israélien·nes se sont installé·es en flanc de montagne en face du camp, signe préfigurant l’installation de plusieurs dizaines de colons. L’un d’eux porte une arme (comme le permet la loi israélienne) dont il se sert pour terroriser les habitant·es bédouin·es et pour les empêcher de faire paître leurs bêtes. L’armée protège les colons, ce qui empêche les bédouin·es de se défendre. Ainsi, les habitant·es d’Ein Samiya ont dû acheter de la nourriture pour compenser l’herbe que ne pouvaient plus brouter leurs moutons, et pour cela vendre la moitié du cheptel. Leur situation économique est de ce fait préoccupante. Israël ne leur permettant pas d’être relié·es aux réseaux d’eau et d’électricité, ces Bédouin·es utilisent des panneaux solaires qui leur permettent d’obtenir l’énergie nécessaire au fonctionnement de leur éclairage, d’un frigidaire et surtout d’une yaourtière indispensable à leur activité économique. Malheureusement, l’État d’Israël leur a confisqué. L’existence même de ces habitant·es est ainsi rendue très précaire, et iels vivent dans la peur. Sur le camp, avait été construite (en une nuit !) une école pour éviter aux enfants bédouins un long trajet tous les jours pour aller à l’école (environ une heure de voiture). Cette école avait le soutien de plusieurs organisations européennes mais cela n’a pas suffi : l’ordre de démolition de l’école est arrivé lors de notre séjour, brisant le cœur d’Abir, militante, maman de trois enfants qui a mis toute son énergie de ces dernières années dans la construction de cette école.
L’arbitraire
Presque tou·tes les militant·es rencontré·es sont considéré·es comme des terroristes par Israël (alors que leurs organisations sont reconnues par l’ONU), ont fait de la prison ou vont bientôt y aller. Souvent ce sont aussi leurs ami·es, leurs sœurs, leurs frères, leurs parents, leurs enfants de 14 ans qui sont en prison. Israël les place en permanence en détention administrative ce qui permet de se passer de procès ; par ailleurs les civil·es palestinien·nes sont toujours jugé·es par des cours militaires alors que les Israélien·nes sont jugé·es par des cours civiles.
À l’image de cette militante pour l’éducation, étudiante, qui s’est vue reprocher le fait suivant “a vendu des falafels à la fac” dans la liste des chefs d’accusation l’envoyant en prison. L’abus est la règle.
Une force vive d’espérance
Et pourtant, tout au long du séjour, j’ai pensé à cette phrase d’Hölderlin : “là où croît le péril, là croît aussi ce qui sauve”. Je garderai en tête l’accueil, le courage, l’humour et surtout la force vive d’espérance de tou·tes les palestinien·nes croisé·es lors de ce séjour.
Les personnes que nous avons rencontrées choisissent de ne pas renoncer, continuent à se battre, même quand elles ont tout à perdre. J’ai entrevu quelque chose de la “palestianité”, du rapport à la terre palestinien qui est un rapport à l’Identité mais aussi une question de survie. En effet, nombre de Palestinien·nes vivent de leurs récoltes. L’armée israélienne ne permet pourtant l’accès à l’eau aux palestinien·nes que deux fois par mois et pour une quantité qui équivaut à quelques jours de consommation d’un foyer. Le climat est très sec et la terre, aride. Et pourtant les agriculteurs, les agricultrices ne renoncent pas et rivalisent d’ingéniosité ; à l’image de ces producteur·trices de raisin qui utilisent le compost pour compenser le manque d’eau. Pour les Palestinien·nes, que l’État d’Israël veut voir disparaître, “exister c’est résister”. Nous leur avons demandé ce que nous pouvions faire pour elles et eux, depuis notre petit bout de France. Ils et elles ont tou·tes répondu la même chose : “Vous êtes nos meilleur·es ambassadeurs et ambassadrices. Rentrez chez vous, parlez à vos ami·es, à votre famille et racontez ce que vous avez vu. Portez notre voix”. J’ai essayé humblement de m’y employer dans cet article, et je vais continuer. Yallah !
Camille Scorta