Collectif Palestine Vaincra
Pendant le premier quinquennat Macron, on a assisté à une attaque en règle contre les libertés fondamentales et, en politique internationale, à un alignement accru sur les pires positions atlantistes, néocoloniales et impérialistes.
Des dissolutions à la pelle
C’est la conjonction de ces états de fait qui explique que le pouvoir est passé, avec Darmanin à la manœuvre, à un enchaînement de dissolutions d’associations. Il y a eu, à la faveur de l’émotion causée par l’assassinat barbare de Samuel Paty, la dissolution d’associations musulmanes accusées de “soutien au terrorisme”. Dans le cas du CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France), la dissolution a touché une grosse association (des milliers d’adhérent·es, des dizaines de permanent·es) accusée par Darmanin d’apparaître comme un recours quand, à tort ou à raison, un·e musulman·e s’estime discriminé·e. Le Conseil d’État a validé la dissolution et le CCIF s’est mué en CCIE, le E désignant l’Europe.
Dans le cas de nos camarades de “Nantes Révoltée” ou du GALE (Groupe Antifasciste Lyon et Environs), il s’agit cette fois de la complicité du pouvoir avec le syndicat d’extrême droite “Alliance” qui estime intolérable de dénoncer les violences de la police. La première dissolution se heurte au fait que “Nantes Révoltée” est un média. Dans le second cas, un recours au Conseil d’État est en cours.
Et puis, “très bizarrement” au lendemain du dîner du CRIF où Jean Castex avait déclaré, au mépris total du “droit international” auquel la France est censée adhérer, que “Jérusalem est la capitale éternelle du peuple juif”, sur demande personnelle du président Macron, le conseil des ministres a dissous deux associations du mouvement de solidarité avec la Palestine dont le Collectif Palestine Vaincra.
Une nouvelle tentative de criminalisation
Le Collectif Palestine Vaincra est affilié à Samidoun qui est un réseau de solidarité avec les prisonnier·es palestinien·nes, en particulier Ahmed Saadat, secrétaire général du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) et Georges Abdallah, emprisonné en France depuis 38 ans.
Les membres de ce comité toulousain sont jeunes. Dans leur charte, ils précisent qu’ils soutiennent la résistance palestinienne sous toutes ses formes. Ils/elles sont antiracistes et participent à toutes les manifestations lors des anniversaires de la tuerie perpétrée par Mohammed Merah. Ils sont à l’origine (avec le collectif “Vacarme”) du film Fedayin pour la libération de Georges Abdallah.
La lettre accompagnant leur dissolution (Voir le numéro 8 de notre revue pages 19 et 35), notifiée le 10 mars par le Conseil des ministres, reprenait tous les desideratas des sionistes : accuser ceux et celles qui soutiennent la Palestine de faire l’apologie du terrorisme, considérer que prôner le boycott d’Israël, c’est de la discrimination et que parler de l’apartheid israélien, c’est un appel à la haine. Et bien sûr la lettre mélangeait allègrement antisionisme et antisémitisme. Cerise sur le gâteau, elle niait le droit de défendre un prisonnier politique comme Georges Abdallah puisque “c’est un terroriste” qui a agi en France. On mesure la portée d’une telle dissolution. Un tel texte permettait de tout dissoudre : Amnesty International, l’UJFP, l’AFPS (Association France Palestine Solidarité), le NPA… Et puis, c’était un sacré message de soutien inconditionnel au gouvernement israélien en reprenant carrément ses éléments de langage.
Une mobilisation très large
La riposte est partie de Toulouse où un comité de soutien très large, comprenant l’ensemble des associations, des partis et des syndicats actifs sur la ville a multiplié les déclarations et manifestations.
Il a été décidé que le référé en Conseil d’État demandant la “suspension” du décret de dissolution (le jugement sur le fond aura lieu dans quelques mois) serait déposé juste après les élections présidentielles et donc le 26 avril. L’UJFP a déposé aussi un référé et elle a convaincu aisément l’AFPS d’en déposer un autre, conjointement avec l’Union Syndicale Solidaires. À la demande des camarades toulousains, j’ai écrit un témoignage personnel.
Voici un extrait du communiqué de l’UJFP accompagnant le référé :
“Cette dissolution est une atteinte très grave à la liberté d’expression. Elle menace tout le mouvement de solidarité avec les droits du peuple palestinien.
Le Collectif est accusé d’être pour le boycott de l’État d’Israël qui est assimilé à de la discrimination. Or la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France en stipulant que le boycott était un droit. L’UJFP comme de nombreuses associations, y compris des associations israéliennes, défend le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) tant qu’Israël ne se conformera pas au droit international.
Le Collectif est accusé de dire qu’Israël est un État d’apartheid alors que de très nombreux rapports, y compris des rapports de l’ONU ou le dernier rapport d’Amnesty International, aboutissent à cette conclusion. L’UJFP a toujours dénoncé l’apartheid israélien.
Le Collectif est accusé, sans le moindre propos pouvant justifier cette assertion, de défendre le terrorisme. Le droit international stipule que tout peuple opprimé ou occupé a le droit de se défendre. L’ANC en Afrique du Sud a aussi été accusée de terrorisme.
La lettre annonçant la dissolution reprend les contrevérités régulièrement exprimées assimilant antisionisme et antisémitisme.
L’UJFP qui porte la mémoire des victimes de l’antisémitisme et du génocide nazi, est une association juive antisioniste. Le sionisme est une idéologie qui a abouti à l’expulsion des Palestinien·nes de leur propre pays et à l’apartheid. Vouloir criminaliser l’antisionisme est une tentative liberticide visant à empêcher la solidarité de s’exprimer.
Le Collectif est accusé d’exiger la libération de Georges Ibrahim Abdallah, en prison en France depuis 38 ans. L’UJFP considère aussi que cette détention éternelle viole le droit (la justice a prononcé la libération de Mr. Abdallah) et vise à punir le condamné pour son soutien indéfectible à la cause palestinienne.”
Un arrêt qui fera date
La représentante du ministère a été un peu désarçonnée devant le Conseil d’État par tous les soutiens reçus. Elle a insisté un peu sur le terrorisme et beaucoup sur les commentaires lus sur le site du Collectif. Nos camarades avaient bien supprimé certains d’entre eux qui versaient dans le complotisme, mais pas tous.
Le jugement du Conseil d’État nous donne raison sur tous les plans :
Il stipule que les trois associations qui sont allés en référé étaient en droit de le faire. Quand on sait que l’ancien DILCRA (Délégué Interministériel à la Lutte contre le Racisme et l’Antisémitisme), Gilles Clavreul (membre du “Printemps Républicain ”), voulait explicitement la peau de l’UJFP ou que le président de l’AFPS, Bertrand Heilbronn, a subi une garde-à-vue après avoir été reçu au Ministère des Affaires Étrangères, cette reconnaissance est importante.
Le jugement dit que le Collectif n’étant pas l’auteur de propos jugés excessifs et figurant sur son site, il ne peut être tenu responsable de ces propos. Ouf. Néanmoins, cette affaire montre que tenir un site avec une discussion libre nécessite une “modération” permanente et efficace.
Le jugement répète sur le boycott ce que la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) avait déjà dit : “l’appel au boycott en ce qu’il traduit l’expression d’une opinion protestataire, constitue une modalité particulière d’exercice de la liberté d’expression […]”. Peut-être cette fois-ci Dupont-Moretti qui avait envoyé une directive aux procureurs leur demandant d’essayer de trouver de la “haine et de la discrimination” en cas d’action de boycott malgré le jugement de la CEDH saura lire. Qui sait ?
Le jugement réfute l’idée que donner des informations sur des organisations implantées au Proche-Orient ou sur des personnes condamnées pour des faits de terrorisme puisse être qualifié “d’agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France”. On a bien le droit d’exiger la libération de Georges Abdallah.
Le Conseil d’État émet un “doute sérieux sur la légalité du décret de dissolution”. Il suspend la dissolution et L’État est condamné à verser 3000 euros au Collectif.
Trois jours plus tard, la Cour d’appel de Lyon confirme l’acquittement d’Olivia Zémor (d’Europalestine) poursuivie pour “discrimination” par la multinationale israélienne TEVA et l’extrême droite sioniste pour avoir publié sur son site le compte-rendu d’une action de boycott.
Champagne pour la Palestine !! Désormais, c’est clair, le boycott est légal, l’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme est une manipulation. Tous nos lecteurs et lectrices sont appelé·es à boycotter l’occupant israélien.
Pierre Stambul
Dernière minute : Après l’annulation de la dissolution du Collectif Palestine Vaincra et du CAP de Bordeaux, le Conseil d’État a annulé le 29 avril celle du Groupe Antifasciste Lyon et environs (GALE). |