Le congrès national de la FSU a eu lieu du 31 janvier au 4 février 2022. Une délégation d’Émancipation de 23 camarades a porté les revendications de la tendance et a pointé les contradictions de la direction ainsi que les perspectives importantes de la période dans une perspective de luttes auto-organisées.
L’enjeu majeur de l’auto-organisation
Alors que les collectifs de lutte foisonnent dans tous les secteurs et qu’ils nécessitent du soutien et des moyens, la question de l’auto-organisation a représenté un point de clivage important durant le congrès.
En effet, depuis des années maintenant et de manière toujours plus développée, les luttes s’organisent en dehors, à côté des organisations du mouvement ouvrier et notamment des syndicats. La méfiance des cadres auto-organisés de lutte vis-à-vis des syndicats est réelle, et si elle est regrettable, elle implique un changement de stratégie de la part des directions syndicales. Nous avons souligné ces points, dans nos interventions et nos textes, et avons mis en avant un certain nombre de cadres de luttes importants, qui se structurent autour d’enjeux majeurs : collectifs contre le SNU, développement d’un réseau éco-syndicaliste, coordination féministe (au sujet de laquelle vous trouverez un article en page 18), collectifs d’AED et AESH dans l’éducation… Les plus précaires de la population et la jeunesse crient leur colère face à un système qui n’est pour elles et eux plus aménageable.
La question que devraient se poser les fédérations syndicales est de savoir comment œuvrer à soutenir et construire à partir de cette colère et des outils d’organisation existants ? Or, aucun soutien ni aucun plan de bataille sérieux n’a été proposé pendant ce congrès. Or, les journées d’action sans lendemain, la méfiance vis-à-vis des collectifs de lutte, la stratégie qui revient à miser sur des perspectives électorales et les aménagements qu’elles pourraient ouvrir, sont autant de repoussoirs pour les collectifs auto-organisés et pour la construction et la victoire de nos luttes.
Face à ce foisonnement de luttes, la direction (U&A et EE) de la FSU renvoie systématiquement au collectif “Plus Jamais Ça”, qui s’inscrit, malgré des accents plutôt progressistes, pleinement dans une logique de dialogue social et dont on peut dire qu’il n’a pour autre perspective, à termes, que de “conseiller” le pouvoir politique. On est loin de la lutte sur le terrain et loin des enjeux à l’heure où respect de l’indépendance syndicale et de l’auto-organisation sont nécessaires.
L’une des réactions les plus édifiantes de ce congrès a été celle face à la coordination féministe, qui a tendu, dans son appel de fin, explicitement la main aux organisations syndicales (et qui avait invité en amont la CGT, la FSU et Solidaires aux rencontres) pour construire une grève féministe massive en France et en lien avec l’international. Alors que tou·tes les militant·es de la FSU n’étaient pas au courant de l’invitation, la FSU se cache derrière un “cadre unitaire” (qui n’a d’unitaire que le nom) mené par Nous Toutes qui à Paris se targue de représenter toutes les antennes régionales ou par ville du collectif alors que nombre de collectifs Nous Toutes dans les villes se revendiquent ouvertement indépendantes du collectif parisien. Mais comment justifier de ne pas engager en urgence des discussions pour œuvrer au plus près des luttes à la convergence que nous appelons, trop souvent abstraitement, de nos vœux, alors même que la FSU se mandate pour porter la grève féministe ? Même l’argumentation de “garder la main” sur le mouvement ne tient pas tant les collectifs syndicaux/ intersyndicaux sont minoritaires face au développement des collectifs féministes.
Nous avons souligné que la base dont nos syndicats veulent se revendiquer est là, et que les revendications existent. C’est notre rôle de porter haut et fort ces revendications, mais aussi un rapport de force à travers des mobilisations contrôlées par la base. Pour cela, nous avons défendu un moyen : des assemblées générales, interprofessionnelles, inter-collectifs, pour mettre au centre la question de la grève – grève pour les salaires, grève contre l’inflation, contre la précarité, grève féministe du travail reproductif, salarié ou non salarié… décidée à la base. Enfin, nous avons également affirmé que si le congrès a été marqué par de nombreuses interventions au sujet de l’extrême droite, ce n’est pas dans les urnes que ce combat allait se mener. L’extrême droite se combat et plus les mobilisations sociales sont nombreuses, moins on lui laissera de la place. Le développement de l’auto-organisation est en soi une arme contre l’extrême droite et ses idées.
Quand la signature du protocole d’accord sur la protection sociale complémentaire devient une signature combative…
L’accord sur la protection sociale complémentaire (PSC) a été signé par tous les syndicats le 26 janvier dernier, qu’ils soient dits “réformistes” ou de “transformation sociale”. Au lieu de créer le rapport de force pour empêcher la signature ou, au minimum, repousser la signature après le congrès, la direction de la FSU a signé, sans défendre ses mandats. Pire, le congrès a servi de chambre de justification de cette signature. Les uns et les autres portant le fait que la FSU a permis de “limiter la casse”, qu’elle était contrainte de le signer pour pouvoir faire le suivi de l’accord, que c’était, en réalité, une signature “de combat” (sic).
L’accord PSC fait pourtant suite à une ordonnance prise en février 2021, n’y avait-il pas le temps d’organiser la contre-offensive, de prévenir les syndiqué·es et salarié·es ? Encore une fois, la direction de la FSU s’est complu dans le manque de réaction de la base et se dote maintenant de mandats pour “communiquer” auprès des syndiqué·es. Le cynisme de ces propositions ferait rire s’il ne s’agissait pas d’un renoncement à se donner les moyens de défendre réellement la Sécurité sociale.
Car l’accord sur la PSC participe des attaques contre la Sécurité sociale. La “grande sécu”, promue par le HCAAM, qui rembourserait à 100 %, n’a rien à voir avec la revendication de la FSU des 100 % remboursés par la Sécurité sociale financée par les cotisations, la Sécurité sociale de 1945, inscrite dans le statut général des fonctionnaires. La “grande sécu”, c’est l’aggravation du détournement des principes et des fonds de la sécu par le pouvoir exécutif, la perte de ce qui restait de mutualiste pour les complémentaires et surtout l’entrée de l’assurantiel et donc bientôt des fonds de pension dans le financement et donc le regard, avec toutes les conséquences inégalitaires à terme, sur le panier de soins de base.
Nous avons dénoncé plusieurs fois cette signature lors du congrès de la FSU en portant des amendements et une motion commune avec deux autres tendances (URIS et FU) pour le retrait de la FSU de cet accord. De-ci de-là, des congressistes partageaient ces positions mais l’appareil de la FSU est bien verrouillé et les consignes de vote des tendances majoritaires bien suivies.
C’est d’ailleurs ce qui peut être généralisé à d’autres sujets comme la proposition d’Émancipation de l’expropriation des grands groupes capitalistes, qui a été refusée alors même que la FSU se dit anticapitaliste.
Quelles perspectives dans l’éducation ?
De nombreuses revendications pertinentes ont été intégrées dans les mandats de la FSU. Toutefois, la direction de la FSU reste dans une logique consistant à revendiquer des améliorations (baisse des effectifs des classes, créations de postes, etc.) dans le cadre du système existant pour le démocratiser… sans remettre en cause ses fondements même, faute d’une perspective anticapitaliste. La FSU reste aussi très frileuse sur la remise en cause des réformes mises en place par Blanquer, se contentant souvent de les dénoncer sans demander leur abrogation. Ainsi, l’abrogation de la réforme des lycées, le démantèlement des cités scolaires n’ont pas été adoptés, tout comme la fin de l’expérimentation dans les écoles marseillaises.
Nous avons défendu la perspective de se battre pour une école sans hiérarchie des savoirs et sans tri social, dans le cadre d’un changement de société. Ce qui suppose au préalable de mettre en échec la politique de ce pouvoir, et en particulier de se battre pour l’abrogation / le retrait de ses contre-réformes. Émancipation a aussi porté la création d’un corps d’animateur·trices scolaires pour les actuel·les AED.
Sur les droits et libertés, un bilan mitigé
La FSU reprend des mandats plus offensifs sur la dénonciation des violences policières, dont la notion avait disparu des textes lors du dernier congrès, elle se positionne également contre toutes les armes et techniques de “maintien de l’ordre” qui blessent et tuent mais n’a pas adopté le désarmement de la police municipale. Elle ne va pas jusqu’au bout sur la question des lois liberticides, en demandant l’abrogation uniquement des lois portant atteintes à l’exercice des libertés associatives et sans se donner de mandats sur le “pass vaccinal”.
Le congrès de la FSU a montré que, plus que jamais, les tendances majoritaires, unies, freinent la participation du syndicat à l’auto-organisation des femmes, des travailleur·ses. La direction de la FSU préfère croire qu’elle incarne un syndicalisme de transformation sociale en signant des accords contraires à ses mandats ou bien en négociant avec le gouvernement alors qu’elle glisse rapidement vers le réformisme. Bien que la délégation d’Émancipation était, en proportion, peu nombreuse par rapport à l’ensemble des congressistes, elle s’est faite entendre lors des différentes interventions dans le cadre imposé par le congrès, et en montrant, hors cadre officiel, ses désaccords comme en affichant une banderole “Unité pour la sécu” lors de la venue des dirigeants de Solidaires et de la CGT, en écho à la signature unanime de l’accord PSC.
Karine Prévot et Marine Bignon
Pour plus de détails sur le congrès de la FSU, retrouvez nos interventions et nos textes sur le site d’Emancipation (www.emancipation.fr) :
https://www.emancipation.fr/category/syndicalisme/congres-de-la-fsu/
ainsi que sur la page Facebook de la tendance : Emancipation – tendance intersyndicale.