En complément de cet article, lire aussi l’article concernant la mise en place d’un tableur pour répartir une caisse de grève.
La création de caisses de grève sur nos lieux de travail est un outil important pour nos luttes. Ce texte vise à mettre en commun quelques idées pour faire fonctionner cet outil et à ouvrir le débat. N’hésitez pas à nous faire part de vos propres expériences, ou des problèmes politiques et pratiques qui nous auraient échappé !
La caisse de grève est un outil fondamental pour renforcer notre capacité à nous mobiliser par la grève, y compris reconductible, en atténuant partiellement son coût. Elle peut favoriser, en particulier, la participation des collègues qui ont les niveaux de vie les moins élevés (salaires faibles, emplois précaires, familles monoparentales…). Elle peut aussi contribuer à renforcer les liens entre les différentes catégories de personnels, lorsqu’elle est commune à tous les corps de métier présents sur le lieu de travail.
Ce texte vise à mettre en commun quelques principes et solutions pratiques permettant de faire fonctionner une caisse de grève. Il s’inspire d’une expérience locale, débutant par la création d’une caisse dans mon lycée en janvier 2019, dans le cadre de la lutte contre les réformes Blanquer et Parcoursup. Une deuxième caisse lui a succédé en octobre 2019, étendue à l’ensemble des personnels en vue de la mobilisation contre la réforme des retraites. Et nous avons reconduit l’expérience à la rentrée 2020, en ouvrant une nouvelle caisse pour l’année scolaire en cours.
Le fonctionnement de ces trois caisses successives résulte des décisions prises en AG et en heure syndicale, et de discussions avec mes camarades de la section SNES du lycée. Mais il s’inspire aussi d’échanges avec des collègues d’autres établissements, rencontrés notamment dans le Collectif contre les réformes Blanquer et Parcoursup d’Île-de-France, puis dans les AG Éducation Île-de-France.
Comment remplir la caisse de grève ?
Il est d’abord nécessaire de désigner une ou plusieurs personnes pour assurer la trésorerie, de décider comment seront conservées les recettes (quelle caisse physique, quel compte bancaire…) et comment elles seront comptabilisées (par exemple dans un tableau partagé si plusieurs personnes assurent le mandat).
Une partie des recettes peut venir de contributions internes. Par exemple, lorsque des collègues ne sont pas de service lors d’un jour de grève, et versent tout ou partie du montant correspondant. Ou lorsqu’une seule catégorie de personnels fait grève (comme dans le cadre d’une mobilisation des AED ou des agents territoriaux) mais que d’autres donnent à la caisse pour les soutenir.
D’autres recettes peuvent venir de contributions extérieures : des sommes collectées en main propre lors de manifestations ou de réunions publiques ; les recettes issues d’évènements en soutien à la lutte ; des dons recueillis grâce à une cagnotte en ligne ; des contributions collectives venant d’organisations qui soutiennent la lutte ; des versements issus du partage d’une caisse de grève plus large (gérée par une organisation syndicale, une AG inter-établissements, une coordination…).
La recherche d’un soutien financier extérieur est utile, et souvent nécessaire dans une lutte qui dure. Elle peut d’ailleurs être l’occasion de faire connaître les revendications, de diffuser des argumentaires et de susciter des rencontres (appel à soutien, pétitions, réunions publiques, évènements festifs, piquets de grève…). Mais elle doit faire l’objet d’une réflexion : à qui s’adresse-t-on ? À quelle échelle géographique ? Sur quelles revendications ? Parmi les enjeux de cette réflexion, il faut tenir compte du risque de concurrence avec d’autres caisses de grève (surtout lorsque des mobilisations sont en cours dans beaucoup d’établissements ou dans plusieurs secteurs professionnels) et du risque de “grève par procuration”, dans le cas où l’on souhaiterait au contraire entraîner d’autres établissements ou d’autres secteurs dans la lutte.
Comment répartir la caisse de grève ? Dès la création de la caisse, il faut se mettre d’accord collectivement sur plusieurs questions, même si des amendements ultérieurs sont possibles.
1) Quelles grèves donneront lieu à un versement par la caisse de grève ?
Sur quelle période ? (À partir de la création de la caisse ? depuis le début d’un mouvement ? le début de l’année scolaire ? Jusqu’à quand ? Etc.)
Dans quel cadre ? (Mobilisations locales et/ou nationales ? Sur quelles revendications ? Votées en AG/heure syndicale ? etc.)
À partir de combien de jours ? (Dès le premier jour de grève ? Au-delà d’un certain nombre ? Seulement si la grève est reconduite ? etc.)
2) Qui peut bénéficier de la caisse de grève ?
Le soutien de la caisse de grève peut être réservé à une partie des collègues, par exemple celles et ceux qui ont les salaires les plus faibles et/ou les emplois les plus précaires. Mais cela peut avoir pour inconvénient de freiner les demandes, certain·es collègues ayant du mal à accepter d’être “aidé·es” financièrement, ou pensant que d’autres personnes en ont davantage besoin. Il peut alors être préférable d’ouvrir ce soutien à tous les personnels, en modulant le montant versé en fonction des situations (et notamment selon le salaire). On peut aussi laisser la possibilité aux collègues de remettre dans la caisse une partie du montant reçu, qui servira pour le partage suivant.
Comment sera calculée la somme versée à chaque personne ?
Le critère le plus évident est celui du nombre de jours de grève effectués. Mais il est possible d’en ajouter, comme le niveau de salaire (mesuré par exemple par l’indice de rémunération), la structure familiale (et notamment le nombre d’enfants à charge) ou le statut d’emploi (notamment le fait d’être contractuel ou titulaire). Ces différents éléments peuvent être pris en compte en leur affectant des coefficients dans le calcul des sommes à distribuer.
À quel moment distribuer la caisse de grève ?
Le plus simple serait un partage en une seule fois, à la fin de la période (fin d’une mobilisation, d’une année civile, d’une année scolaire…). Cependant, beaucoup de collègues ne tiennent pas un compte très précis de leurs jours de grève, et l’administration fait parfois des erreurs dans le décompte des grévistes. Pour ces deux raisons, il vaut mieux attendre la retenue sur salaire pour déclarer ses jours de grève, et pour procéder au partage de la caisse. Mais il en découle un autre problème : les retenues sur salaire sont souvent effectuées plusieurs mois après la grève, et elles n’ont pas forcément lieu au même moment pour tout le monde. Si on attend que toutes les retenues soient faites par l’employeur, on risquerait de faire attendre trop longtemps les collègues dont les salaires ont déjà été impactés…
Une solution possible est la suivante :
– les collègues déclarent les jours de grève lorsque ceux-ci leur sont retenus ;
– on commence le partage avec une partie de la caisse seulement ;
– ce partage est actualisé à mesure que de nouveaux jours de grève sont déclarés, en augmentant la partie de la caisse utilisée.
Utilisation d’un tableur pour répartir une caisse de grève
Pour la mise en œuvre concrète des principes et paramètres votés en AG, on peut recourir à une feuille de calcul élaborée dans un tableur (comme LibreOffice Calc ou OpenOffice Calc). Nous en avons mis un exemple en ligne sur le site d’Émancipation* . Il peut évidemment être adapté à la situation locale et aux principes de partage adoptés.
À l’aide de plusieurs colonnes et de formules de calcul, cet outil permet :
– de calculer le montant à verser à chaque collègue, en fonction du nombre de jours de grève et des autres critères décidés collectivement ;
– de faciliter un partage de la caisse de grève en plusieurs fois ;
– de conserver la mémoire des calculs effectués et des sommes versées à chaque collègue.
On peut aussi s’en servir pour faire des simulations avant de commencer la répartition, afin d’éclairer les décisions de l’AG sur les sommes à utiliser ou à mettre de côté, ou sur le poids à donner à chaque critère de partage.
R. Charasse