(pour plus d’informations sur le congrès du SNES-FSU, voir la rubrique « congrès du SNES »)
Le congrès du SNES s’est tenu à la mi-mai, dans une configuration inhabituelle : un congrès en « distanciel » sur un ordre du jour revu. Autant dire que ce congrès avait tout pour être à un vrai congrès syndical, ce que l’enseignement à distance est à un vrai enseignement…
C’est pourquoi les militant.es d’Émancipation – avec d’autres – avaient demandé le report du congrès et du vote interne, dans le but d’avoir un « vrai » congrès et une expression significative des syndiqué.es. Cette proposition n’a pas été retenue, le congrès national a eu lieu et dans au moins une section académique les syndiqué.es votent par Internet dans le plus complet désordre.
Un congrès qui commence mal…
Outre ces aspects « techniques », le fond « politique » posait problème aussi : étaient soumis aux débats deux textes très courts. Un sur la « syndicalisation » (et non pas le syndicalisme), l’autre sur la question des inégalités scolaires (et non pas du système éducatif); Comment traiter sérieusement des questions, formuler des perspectives revendicatives, en les coupant d’une perspective syndicale d’ensemble, sur l’éducation comme sur le syndicalisme ? Et plus généralement, comment aborder ces questions indépendamment du débat sur l’orientation qui doit être celle du mouvement syndical dans la situation actuelle ?
En l’état, les textes soumis au congrès revenait à borner l’action du SNES dans le cadre des contre-réformes éducatives mises en place par Macron et Blanquer.
… et qui se finit mal
Le cadre posé par le congrès, n’était pas de nature à faire de ce moment une échéance permettant de donner des perspectives de luttes, ou même d’amélioration et de fonctionnement plus démocratique du syndicat. Notamment le dernier jour : échanges limités, délégué.es parfois perdu.es qui ne se repéraient pas dans les textes soumis au vote, dont beaucoup n’ont pas pu être véritablement débattus, échanges parfois dignes de trollages lycéens sur les canaux de discussion lors de séances d’enseignement à distance, etc. il y a même eu une véritable entorse à la démocratie par la « tribune » (si la notion de tribune a un sens dans un congrès en visio-conférence). Celle-ci a eu lieu sur une motion féministe portée par l’académie de Créteil, qui contenait nombre d’analyses et de propositions intéressantes (notamment la possibilité de réunions féministes non-mixtes dans le cadre du syndicat). Le but de la direction UA a été de se borner à reprendre les analyses générales, mais pas les propositions concrètes, en louvoyant pour que celles-ci ne soient pas adoptées, ni même soumises aux votes sous la forme proposée par la section académique de Créteil… moyennant quoi, la section académique de Créteil et l’École Émancipée (et bien entendu Émancipation) ont voté contre le texte sur le syndicalisme.
Mais il ne s’est pas rien passé
Il faut toutefois faire remarquer que le congrès a aussi montré l’existence d’une vitalité militante bien présente dans le SNES, d’une volonté de lutte contre Macron, et Blanquer même si demeure le problème central : comment ? Ainsi, dans les réunions de commission de réels débats, intéressants, ont pu avoir lieu. Les textes soumis aux débats ont notablement évolué, prenant une tonalité plus revendicative. Des réflexions intéressantes, poursuivies en plénière, ont eu lieu. Par exemple une discussion sur l’articulation entre pédagogie et syndicalisme : le SNES doit-il développer les stages et initiatives autour des contenus d’enseignement, y compris en élaborant un matériel pour permettre aux personnels d’avoir une réflexion indépendante sur leurs pratiques ? De telles initiatives conduisent-elles nécessairement à pallier les carences de l’État en matière de formation ou à sombrer dans le « syndicalisme de service », ou peuvent-elles au contraire contribuer aux luttes en réaffirmant la maîtrise de nos métiers et des projets alternatifs pour l’école ?
Au final, les mandats réaffirmés dans ce congrès montrent une réelle analyse de la gravité de la situation. Pour autant, les constats ne suffisent pas.
Les limites de l’orientation majoritaire
Tout d’abord, un fait central : la tendance majoritaire « Unité & Action » maintient, au-delà de certains constats et de certaines revendications que toute l’organisation peut partager, des conceptions syndicales qui n’offrent pas de perspectives. Sur le système éducatif, en pensant un projet d’école plus démocratique dans le cadre de la société existante. Sur le syndicalisme : en maintenant sa volonté d’être un interlocuteur du pouvoir par le biais d’un bon « dialogue social », en concevant – comme le reste de la direction fédérale UA / EE – la FSU comme une fédération de syndicats nationaux souverains maintenant voire accentuant les divisions catégorielles. Sur l’action : en refusant de privilégier l’auto-organisation et les cadres – nécessairement imparfaits et divers – que se donnent les personnels et les militant.es pour contrôler leurs luttes et construire la solidarité à la base (AG souveraines de personnels et intersyndicales, collectifs auto-organisés par exemple dans le cadre des luttes féministes, pratique systématique des caisses de grève contrôlées par les personnels pour lever les freins à l’engagement dans la lutte…). Émancipation a opposé une perspective alternative, axée sur la nécessité d’articuler revendications immédiates et perspective de combat contre le système capitaliste. Et ce aussi bien concernant la conception du système éducatif, que concernant l’organisation et le fonctionnement syndical. Concernant les pratiques de luttes, nous avons proposé des amendements en commun avec l’École Émancipée (sur les caisses de grèves, le rôle des AG). Nous avons aussi porté la nécessité de demander clairement le retrait ou l’abrogation de contre-réformes majeures qui constituent une grave menace pour l’école publique : recrutement et formation des personnels, démantèlement prioritaire, « Contrats locaux d’accompagnement » (CLA) etc… et d’en tirer la conclusion qui s’impose, à savoir le refus de participer aux structures de « concertations » destinées à les mettre en œuvre.
Le texte de la direction du SNES sur l’action, qui découle de ces conceptions, est resté dans un cadre peu propice à impulser les luttes : comme souvent des constats justes, mais ayant comme seul débouché une éventuelle journée de grève en septembre. Y compris des revendications assez simples comme l’annulation pure et simple des épreuves de bac de juin n’étaient pas à l’ordre du jour (en philosophie par exemple). Alors que la question – développée par les délégué.es d’Émancipation – était de s’appuyer sur le mouvement lycéen existant dans plusieurs départements pour engager l’action (surtout dans un contexte où ce mouvement subit une répression sauvage), notamment pour la suppression des épreuves de juin qui n’ont plus aucun sens… et de préparer dès maintenant les conditions pour l’action lors de la rentrée de septembre qui s’annonce catastrophique. Cela implique d’impulser des cadres de mobilisation des personnels à partir de la base. Significatif aussi de l’orientation de la direction du SNES, les positions sur les questions internationales : une motion Palestine renvoyant presque dos à dos le colonialisme sioniste et le peuple palestinien martyrisé, un refus d’exprimer une solidarité internationale avec les mobilisations populaires et démocratiques du peuple algérien, ou avec les prisonniers politiques catalans.
Focus : précarité et sections syndicales
Impossible d’évoquer le détail de tous les débats du congrès, mais deux points ont émergé particulièrement.
D’abord sur la précarité, et plus particulièrement les Assistant.es d’Éducation (AED). Sur les AESH, le SNES comme plusieurs autres syndicats porte la perspective d’une titularisation dans un corps à créer. Sur les AED c’est beaucoup plus compliqué : pour certain.es même, un mandat net n’est pas possible car le SNES ne syndique que très peu d’AED (mais comment les syndiquer et les défendre sans porter des revendications précises ?). Pour d’autres, il est urgent d’attendre, et de se donner un « mandat d’étude »… succédant au « mandat d’étude » décidé il y trois ans. Autant de positions à côté de la plaque, dans une situation où pour la première fois depuis la création des AED en 2003 ces personnels se sont mobilisé.es et ont fait grève nationalement, et se sont dotés d’une coordination nationale qui réfléchit à la problématique des revendications statutaires. Il est urgent maintenant que toutes les organisations syndicales prennent en compte cette réalité et revendiquent un statut pour les AED, pour les sortir de la précarité et développer les luttes syndicales en ce sens !
Sur la base du syndicalisme SNES ensuite : le « S1 », autrement dit la section d’établissement, pilier de la vie militante. On a assisté à la quadrature du cercle de la part de la direction du SNES. Un des aspects du syndicalisme réformiste d’UA, c’est l’importance des « services » aux personnels : outre la défense des intérêts immédiats et quotidiens dans les établissements, l’acquis progressiste que constituaient les commissions paritaires était central dans cette perspective. Avec la perte des commissions paritaires, la direction du SNES se propose de développer le service aux personnels par le biais des S1 et pas franchement dans une perspective de lutte mais plutôt de délégation de pouvoir : en accompagnant les personnels lors des entretiens de carrière liés aux PPCR, etc. mais pour mieux défendre les collègues, il faut une vie syndicale collective, et continuer à privilégier le syndicalisme de délégation de pouvoir va à l’encontre de cette nécessité. Autrement dit, d’aucun.es théorisent un syndicalisme développant les « services », avec encore moins de militant.es actifs / actives… Émancipation a défendu l’idée que la question n’était pas tant de développer les « services » plus ou moins réels, mais que les personnels prennent en main eux-mêmes / elles-mêmes la défense de leurs droits dans un cadre collectif : le « S1 » ce n’est pas une personne mais un collectif (même si de ce point de vue la situation dans nombre d’établissements est difficile, mais y a-t-il une autre solution ?). L’existence d’une vie militante et démocratique impliquant le plus grand nombre de syndiqué.e.s implique aussi que les liens entre les sections d’établissements se développent, et que les relations avec les sections départementales (S2) et académiques (S3) soient moins descendantes. Or, les propositions en ce sens sont généralement balayées par la direction UA, sans même se donner la peine de les examiner. Comme si la critique de la démocratie représentative (pourtant largement admise concernant les institutions de la Vème République) et la réflexion sur les formes de lutte (renouvelée dans d’innombrables mobilisations ces dernières années) s’arrêtaient à la porte de notre syndicat.
Comme on le voit, des débats d’orientation fondamentaux pour le syndicalisme doivent avancer et se concrétiser.
Quentin Dauphiné