(l’Observatoire de la laïcité est au centre des débats sur la question laïque depuis quelques semaines, nous y consacrons un article sur notre site pour présenter quelques points de vue).
L’observatoire de la laïcité a publié il y a quelques semaines un petit ouvrage utile démontant certaines idées fausses sur la laïcité. On sait que l’évolution de plus en plus dangereuse et autoritaire de l’État se matérialisera peut-être prochaine par la disparition de l’Observatoire. À cet égard, l’ouvrage en question, conçu comme un outil d’éducation populaire, sera-t-il aussi une sorte de « testament » de l’Observatoire ?
Disons-le nettement : ce petit ouvrage, s’il ne révolutionne pas la réflexion sur la laïcité, apporte des rappels utiles et même des informations intéressantes y compris pour des militant.es laïques. Et disons-le tout aussi nettement : il fait cela dans certaines limites, qui tiennent à la nature de l’Observatoire lui-même.
L’Observatoire et ses limites
L’Observatoire a été la cible de nombreuses attaques depuis quelques années. Sa suppression a été annoncée il y a quelques semaines. Un texte interne au gouvernement, publié dans la presse et non démenti, précisait fin 2020 : « La volonté du Premier ministre est de renouveler une instance afin qu’elle soit davantage en phase avec la stratégie de lutte contre les séparatismes »[2]. Autrement dit, il s’agit de le remplacer par une structure qui donne un vernis « laïque » à une politique qui de jour en jour se rapproche de celle de différents régimes autoritaires : Macron n’en est plus à ça près, il est vrai que quand la colère contre un pouvoir destructeur et honni devient trop importante, elle peut le menacer… et dans ce cas il faut faire diversion. Et cela nous donne les « Etats généraux de la laïcité » : propulser une initiative au service du pouvoir, à laquelle coopèrent des opportunistes intéressé.es comme Caroline Fourest[3].
Pourquoi l’Observatoire est-il devenu une gêne pour le pouvoir ? Il n’est pas un organisme politique progressiste, contrairement à ce que croient certain.es militant.es. C’est avant tout une structure institutionnelle : une idée de Chirac mis en œuvre effectivement par Hollande. Le centre de gravité de l’observatoire tend vers la social-démocratie (son président Jean-Louis Bianco, ancien secrétaire général de l’Élysée de Mitterrand et ancien ministre socialiste). Ainsi l’Observatoire est globalement sur la position suivante : défendre pour l’essentiel la législation existante en matière de laïcité. Autrement dit ne pas remettre pas en cause directement les affaiblissements successifs des lois laïques fondamentales de la 3e République, mais aussi défendre ces mêmes lois laïques.
C’est aujourd’hui ce qui gêne Macron : défendre et expliquer la législation laïque est de trop, l’existence de l’Observatoire gêne un pouvoir qui entend aller de plus en plus loin sur le terrain du racisme anti-arabe[4]. Et dont le ministre de l’Éducation est un relais de l’enseignement privé catholique.
Du bon et du mauvais usage de la « laïcité »
Ces remarques ne disent pas l’essentiel : l’essentiel, c’est l’intérêt que constitue ce petit livre pour les militant.es laïques. Au travers de 95 idées reçues, l’ouvrage rappelle aussi ce qu’est la laïcité… et ce qui s’en réclame à mauvais escient. Il aborde des questions historiques, sociologiques, juridiques et aussi parfois très pratiques. Il embrasse aussi des domaines divers. Certains nous sont familiers : la question scolaire, l’histoire de la laïcité, la laïcité dans le monde… d’autres le sont moins et sont très instructifs : la laïcité et le sport, la laïcité et les relations avec les cultes. D’autres enfin sont au cœur de la situation politique actuelle : la laïcité et l’Islam, « La laïcité selon les espaces (services publics, entreprises, associations, espace public, etc.) ».
Il est intéressant de rappeler que certaines questions ne relèvent pas directement de la laïcité. L’ouvrage en aborde plusieurs, prenons trois exemples : les tenues vestimentaires, l’expression de la foi religieuse dans les entreprises privées, les droits des femmes. L’auteur[5] rappelle qu’il est tout à fait possible d’un point de vue légal de sanctionner un.e salarié.e ou d’interdire des vêtements comme le burkini ou la burqa… mais pas en partant de la législation laïque. Autrement dit le faire sous couvert de « laïcité », c’est masquer ses vraies intentions. Ces prohibitions peuvent se faire en invoquant la non-discrimination (cas d’un salarié refusant de façon répétée de saluer une femme) ou le risque de trouble à l’ordre public. Et encore cela est-il très encadré juridiquement : c’est pour cela que le conseil d’État a déclaré illégal des arrêtés municipaux contre le burkini, non pas du point de vue de la laïcité, mais du point de vue de l’ « atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales ». Dans un autre ordre d’idées, le refus de vaccination ou de transfusion sanguine sur un enfant par ses parents n’est pas valable s’il met en danger la santé ou la vie : la laïcité protège la liberté de croyance et de conscience, mais ne permet pas de s’exonérer des lois communes.
Concernant le lien entre laïcité et droits des femmes, l’auteur est sans ambiguïté : d’une part, la laïcité n’est pas en soi féministe, elle ne garantit pas spécifiquement l’égalité des sexes (« La laïcité concerne d’abord les convictions, pas le genre ») (idée reçue n°39). En revanche, la laïcité constitue un point d’appui dans le combat féministe : la séparation des Églises de l’État diminue l’influence religieuse dans toute une série de domaines (par exemple l’état civil), d’autre part « l’approche laïque suppose l’absence de modèle imposé par une religion ou une idéologie d’une famille type » (idée reçue n°41).
Laïcité et service public : retrouver l’axe central
Le cœur du propos est fondamental : au final, en mettant bout à bout les différents aspects traités, l’idée centrale, simple, et pourtant très souvent mise au second plan, émerge de façon lumineuse et donne une cohérente à l’approche laïque : la laïcité concerne les institutions publiques, et la matérialisation de l’action publique au travers de ses agent.es.Ce point est absolument central : il est l’axe autour duquel s’organise le militantisme laïque, notamment dans le domaine scolaire depuis les lois de laïcisation des années 1880. C’est le fait de dévier de cet axe – le combat contre le financement de l’école privée et pour la nationalisation laïque – [6] qui a permis aux forces réactionnaire de lancer une tentative de hold-up sur le terme de laïcité. Tentative en partie réussie, il faut le reconnaître, puisqu’elle déteint sur une partie de la « gauche » réformiste. Il est d’autant plus vital de retrouver cet axe conceptuel et idéologique, pour retrouver le sens d’une laïcité émancipatrice en premier lieu pour les fractions les plus opprimé.es des travailleur.es.
Par ailleurs, ce rappel doit aussi attirer l’attention sur une autre question centrale : celle des statuts de la Fonction publique. Car on assiste aujourd’hui à un phénomène pernicieux : faire assurer des « missions de service public » par le secteur privé notamment associatif ou para-associatif[7]. Ce qui permet d’étendre presque à l’infini la notion de laïcité, et au final de la liquider : si la laïcité est partout, elle est en fait nulle part et toute la société est sous l’emprise de l’État. C’est d’ailleurs un des points soulevés par le responsable de FO Fonction publique lors des auditions sur la loi « séparatisme » : celle-ci prévoit que les structures ayant délégation ou concession de service public doivent appliquer la « laïcité » ; de fait, cette disposition est en lien avec la loi de 2019 sur la Fonction publique, qui entend développer l’emploi précaire et transférer des missions et des personnels au privé… conséquence : la laïcité « déborde » du champ d’action des fonctionnaires et peut ainsi s’immiscer dans le fonctionnement de diverses entreprises privées, y compris pour permettre la répression anti-syndicale ou la discrimination.
Ces éléments répondent d’ailleurs aussi à leur façon au débat sur l’accompagnement des sorties scolaires : légalement, les accompagnateur.es n’exercent pas de mission de service public donc ne sont pas soumis.es aux mêmes règles que les fonctionnaires (par exemple concernant le port du voile). Mais de plus, idéologiquement, il est dangereux de vouloir les soumettre à cette obligation : cela signifierait que n’importe qui peut exercer une mission de service public, et qu’il n’y a pas besoin de personnels statutaires. Autrement dit, pour les personnels, le lien entre défense de la laïcité et défense du service public n’est pas seulement abstrait : il passe par la défense des garanties statutaires et la fin de la précarité.
(re)conquêtes laïques
Cela dit, ce panorama ne répond pas à tout : ce qui est logique, ce n’est pas le but de l’Observatoire. Ainsi il peut y avoir un débat autour des élus locaux par exemple : quid de la participation en tant que tels (et pas à titre privé) ? L’auteur indique qu’il faut distinguer soigneusement les moments où les candidat.es et élu.es défendent leurs opinions politiques et ne sont pas soumis.es au principe de laïcité entendue comme neutralité, et ceux où ils / elles sont soumis.es au principe de neutralité… tout en mentionnant qu’ils / elles peuvent participer en tant que repésentant.es de la collectivité (et pas à titre privé), mais « sans témoigner, par leur comportement, d’une adhésion manifeste à un culte » (idées reçues n°74 et n°92). Comme l’ont proposé certain.es parlementaires, il me semble que la cohérence laïque voudrait qu’un.e élu.e ne puisse participer à une cérémonie / fêtes religieuse en tant que représentant.e d’une collectivité publique[1]. À ce titre, la décision du maire de Lyon de ne pas participer à la cérémonie religieuse du « vœu des échevins » contribue à faire évoluer positivement la situation. On pourrait aussi se poser des questions sur la question du financement / entretient de bâtiments religieux ou liés à une organisation confessionnelle.
Mais il y a deux points plus importants, majeurs pour les laïques de ce pays : le concordat d’Alsace-Moselle, le financement de l’enseignement privé. Concernant le système concordataire, l’auteur relève une situation très ambiguë : il n’est pas contradictoire avec la Constitution (idées reçues n°30). Il montre les arguments par lesquels le Conseil constitutionnel en est arrivé à cette conclusion. Par ailleurs, on pourrait remarquer qu’il n’est pas du tout étonnant que le Conseil constitutionnel… de la 5e République, ait une telle position : la loi Debré sur le financement des écoles privées (essentiellement confessionnelles) est après tout une loi majeure du régime gaulliste ! Toutefois, l’auteur relève que « si le maintien transitoire est possible, le législateur est libre, à l’avenir, de décider d’y mettre fin ». Ils / elles relèvent aussi en passant que par exemple le délit de blasphème a été abrogé en Alsace-Moselle, suite à l’action de l’observatoire.
Concernant le financement de l’enseignement privé, l’ouvrage est prudent : il rappelle justement qu’il est faux de penser que ce financement est naturellement lié à un État laïque, c’est seulement à partir de 1919 qu’il apparaît. Il relève prudemment, après avoir énuméré les lois majeures qui développent ce financement : « Ces financements publics sont encore aujourd’hui régulièrement critiqués au nom de la laïcité »… ma balle est le camp des militant.es laïques pour mettre fin à cette anomalie.
Soit dit en passant, l’ouvrage aide aussi – certes ce n’est pas son propos – à prendre conscience des façons dont on peut détourner ou combattre la laïcité. Comme on l’a vu, il est possible d’employer le terme « laïcité » pour en fait imposer des mesures liberticides sans l’avouer. Mais il est possible de la contourner par des notions qui ne révèlent pas immédiatement les visées des lobbies religieux : « l’intérêt général » (une organisation confessionnelle pouvant exercer des missions d’intérêt général et être soutenue par l’Etat par ce biais), le « besoin scolaire reconnu », etc.
Il y a beaucoup d’autres points intéressants dans ce petit livre : les rappels sur la différence « laïc » / « laïque », laïcisation / sécularisation, signe religieux ostensible / ostentatoire (là il faut reconnaître que la différence est fumeuse et très subjective), le mythe de la religion chrétienne aux origines de la laïcité (sous-entendu : pas comme l’Islam…), laïcité et restauration scolaire, laïcité et associations… le mieux est sans doute de se le procurer et de le lire, son objectif pédagogique étant plutôt bien atteint.
[1] Voir à ce sujet la tribune d’Alexis Corbière : « Laïcité : c’est aux élus de donner l’exemple », Libération du 25/01/2021.
Quentin Dauphiné
[1] Nicolas Cadène, En finir avec les idées fausses sur la laïcité, éditions de l’Atelier.
[2] Le Monde du 20/10/2020.
[3] Après avoir disserté sur « la seule voie possible pour s’opposer de façon crédible à la politique libérale d’Emmanuel Macron » (Marianne du 17/12/2019), celle-ci vient participer à l’opération gouvernementale cousue de fil blanc des « États généraux ».
[4] Pour une analyse plus détaillée des enjeux politiques autour de la suppression de l »‘Observatoire, lire l’article de Christian Eyschen (« Disparition de l’Observatoire de la laïcité ») sur le site de Mediapart.
[5] Si l’auteur est Nicolas Cadène, le livre est publié en partenariat avec trois organisations : la LDH, Solidarité laïque, la Ligne de l’enseignement.
[6] Rappelons par ailleurs que la question laïque ne se résume pas à l’école.
[7] Avec la loi Debré, c’est déjà le cas depuis 1959 !
[8] Voir à ce sujet la tribune d’Alexis Corbière : « Laïcité : c’est aux élus de donner l’exemple », Libération du 25/01/2021.