Émancipation


tendance intersyndicale

Le meurtre de Samuel Paty, c’est celui de n’importe quel prof

Nous publions ci-dessous une première réaction d’Emancipation aux événements de ces derniers jours.

Comment ne pas être sidéré.es, devant l’effroyable assassinat de Samuel Paty. Ce prof décapité par un  jeune fanatisé, devant son collège au sortir de ses derniers cours avant les vacances, aurait pu être n’importe quel prof.

N’importe lequel ou laquelle de ces profs, lassé.es d’être aussi peu reconnu.es et rétribué.es pour la difficulté de son métier, fatigué.es d’être tenu.es pour simple exécutant.es des lubies ministérielles, harassé.es d’être balloté.es entre les incohérences dangereuses de la protection des personnels et de élèves contre le coronavirus et n’en pouvant plus, comme Christine Renon, des injonctions contradictoires des différents niveaux hiérarchiques 

N’importe que.le prof escomptant dans « l’école de la confiance », en cas de mise en cause diffamatoire et publique par des parents, le soutien de sa hiérarchie, sa cheffe d’établissement, son DSDEN, sa rectrice et son ministre. En l’espèce le « soutien » dont Samuel a bénéficié, semble s’être borné à être « recadré », une « équipe laïcité et valeurs de la république » lui rappelant « les règles de laïcité et de neutralité » et à se voir enjoint de s’excuser auprès de ces parents qui l’ont jeté en pâture sur les réseaux sociaux.  En gros, on lui intimait d’asséner le discours « républicain » du ministère en évitant précautionneusement les réactions de parents d’élèves, une injonction contradictoire intenable de plus.

N’importe quel.le prof  cherchant à enseigner au mieux sa matière,  avec de nouveaux programmes bâclés, qui ne misent plus sur les savoir-faire enseignants pour construire, par des expériences concrètes dans la classe, des connaissances rationnelles en mesure de former à l’esprit critique. En l’occurrence, pour ce qui concerne Samuel, le programme Blanquer de 2018 pour l’Enseignement Moral et Civique, mobilisait encore moins que les précédents cette médiation pédagogique du prof permettant  ce retour critique  par rapport à des croyances bien enracinées, comme c’est souvent le cas pour les religions.

N’importe quel.le prof qui espère qu’en cas de menace liée à son enseignement qu’il professe au nom de la République, les pouvoirs publics dûment prévenus (par Samuel lui-même des menaces qu’il recevait,  mais aussi par la plateforme internet Pharos qui avait reçu un signalement du compte Twitter de  l’assassin) sauront le protéger… Ou, qu’à défaut, ils se feront discrets, ne cherchant pas à corriger -comme pour l’épidémie de Covid- leur impardonnable carence au moment où on avait besoin d’eux, par les surenchères de l’après, avec des ministres honnis en tête des cortèges d’hommages qui ont dissuadé nombre d’enseignant.es d’y participer.  Pire encore le gouvernement utilise la légitime émotion suite à cet effroyable meurtre pour  justifier l’aggravation des  politiques  d’exclusion, de divisions des citoyens, de répression, et de nouvelles atteintes  aux libertés qui vont avoir un effet inverse de celui affiché. Eradiquer le terrorisme islamique ne passe pas par s’en prendre aux organisations syndicales (notamment suite aux attaques de Blanquer et Darmanin contre Sud) ou à la recherche en sciences sociales, comme l’a fait Macron à la suite de Valls ; ni « revoir » la loi sur la liberté de la presse ; ni  changer la constitution pour pouvoir faire repasser La loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia », dont le contenu est quasi-intégralement censuré par le Conseil constitutionnel ; ni sortir des traités européens et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui n’autoriserait rien de tout ça…

N’importe quel.le prof en droit de se demander s’il/elle n’a pas raté sa  mission émancipatrice et de formation des intelligences quand il voit les prises de positions dans tous les sens, hâtives, à l’emporte pièce, de politiques, d’éditorialistes ou d’histrion.nes des plateaux TV si prompts à disserter sur ce qu’ils ne connaissent pas. Qu’ils/elles se montrent toujours aussi peu intéressé.es à la dure et complexe condition des enseignant.es et les présentent.es comme des héro.ïnes ou martyr.es, reprenant par là même la terminologie des extrémistes religieux. Qu’ils/elles se disent, comme Darmanin, mal à l’aise devant les rayons halal et kacher des super marchés. Qu’ils/elles confondent terroriste avec islamiste, islamiste avec musulman, l’assassin avec les responsables et les croyants de sa mosquée,  qu’ils/elles stigmatisent les pratiquant.es de la religion dont le terrorisme islamique se revendique. Ou qu’ils/elles désignent à la vindicte publique et policière, comme l’a osé un leader de gauche, « une communauté », en l’occurrence les Tchétchènes réfugié.es en France du fait de la guerre d’extermination de Poutine.

N’importe quel.le prof qui va rendre un inestimable hommage à Samuel, son collègue, comme à toutes les victimes des extrémismes religieux, intégristes, fascistes ou nationalistes, des guerres impérialistes, interethniques ou post coloniales  : Continuer à faire modestement son maximum pour assurer, avec l’ensemble de personnels de l’Ecole publique, quelles que soient les difficultés inhérentes à la tâche et celles qu’ajoutent les technocrates et les idéologues gouvernementaux, la formation la plus exigeante et égalitaire possible de tou.tes les jeunes à une approche intelligente et critique de la société. Et aussi continuer à se mobiliser pour que, dans l’école, mais aussi au-delà, les conditions de l’égalité entre les habitant.es permettent que les autres  devises des frontons des mairies, la liberté et la fraternité, ainsi  que la laïcité, inscrite sur trop peu de mairies, prennent plus de sens pour tou.tes.  C’est la condition pour que des jeunes ne se laissent pas endoctriner par des idéologues de la haine jusqu’à vouloir mourir en frappant y compris celles et ceux qui comme Samuel, se sont efforcé.es jour après d’apporter la connaissance et la liberté de pensée et de conscience à des millions de jeunes qui ensemble finissent par faire société malgré les embûches. Ces jeunes constituent de meilleurs remparts contre le fanatisme aveugle, qu’une répression également aveugle, un renforcement du racisme et de l’exclusion, qui risquent surtout de susciter de nouvelles vocations pour les réseaux terroristes.