Israël : apartheid, annexion, suprématisme
Dans son dernier livre, L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel a une jolie expression. Jusque-là, les dirigeants d’Israël essayaient de masquer le sociocide à l’œuvre contre la Palestine. Ils se dépeignaient en victimes d’antisémites voulant détruire Israël et jeter les Juifs et les Juives à la mer. D’ailleurs pour eux, les Palestinien·nes n’existent pas. Ils affirment sans rire qu’Israël est la seule démocratie du Proche-Orient. Aujourd’hui, ils n’ont plus peur “d’uriner du haut du plongeoir”. Ils assument ouvertement l’apartheid.
Le sionisme en phase de fascisation
Bien sûr le terme “fascisme” a un sens précis. : la suppression de toutes les libertés fondamentales et celle des institutions du mouvement ouvrier, le suprématisme qui sépare ceux et celles qui ont des droits de ceux et celles qui n’en ont aucun, l’embrigadement massif de toute la population, l’élimination ou l’enfermement des opposant·es et des lois interdisant toute possibilité d’alternance.
Pour les 50 % de la population vivant entre la Méditerranée et le Jourdain qui sont palestinien·nes, on n’en est pas loin. La loi sur “Israël État-Nation du peuple juif” fait des Non-juif/ves des étranger·es dans leur propre pays. Elle décrète officiellement que ce pays est juif et que seuls les juif/ves ont droit à l’autodétermination. Des ministres ou des politicien·nes expliquent sans rire que les droits du sionisme doivent s’imposer face aux droits de l’homme.
La “justice” israélienne ressemble à celle de bien des pays totalitaires. Les Palestinien·nes des territoires occupés dépendent de la “justice” militaire, toute ressemblance avec l’Occupation chez nous n’est bien sûr pas fortuite. L’armée et les colons multiplient ensemble les violences contre une population désarmée. S’il n’y a pas de génocide au sens strict du terme en cours en Palestine, 850 000 Palestinien·nes ont connu la prison en 50 ans. La torture a été légalisée. Les arrestations d’enfants même très jeunes sont la norme. Un jet de pierre entraîne des années de prison. Les crimes “gratuits” commis par l’occupant·e, qu’ils émanent de colons ou de militaires, ne sont jamais punis.
Le 30 mai, l’armée israélienne a abattu un jeune autiste à Jérusalem. Pourquoi se gêner puisque l’assassinat ou la mutilation volontaire de milliers de civil·es à Gaza lors des “marches du retour” n’ont provoqué aucune réaction notable ?
Israël est devenu le modèle mondial des technologies de pointe visant à surveiller et à enfermer les populations réputées dangereuses et ces technologies s’exportent partout.
Même la partie de la population qui est hostile à Nétanyahou partage majoritairement les mêmes “valeurs”. Benny Ganz, criminel de guerre qui s’était vanté en 2014 de ramener Gaza “à l’âge de pierre”, a incarné cette opposition avant de se rallier. Les loups se mangent rarement entre eux.
C’est Zeev Sternhell, historien spécialiste du fascisme décédé le 21 juin dernier, qui expliquait que, sur bien des aspects, l’Israël d’aujourd’hui ressemble à l’Allemagne des années 30. En tout cas, les colons, qui étaient idéologiquement minoritaires au moment des accords d’Oslo, sont aujourd’hui dominants et ils/elles dirigent de fait la société israélienne. Il n’y a plus de contestation massive de l’apartheid et de la colonisation. Encore moins de contestation de la destruction de la société palestinienne et de la négation de ses droits.
Le projet d’annexion
Pendant longtemps les dirigeant·es capitalistes de ce monde étaient censés incarner la “liberté”, même si c’était celle du renard dans le poulailler.
L’époque a changé. Le “droit international”, les “droits de l’homme” sont piétinés sans dissimulation par des soudards qui ont nom Trump, Bolsonaro, Nétanyahou, Assad, Erdogan, MBS, Poutine, Orban, Modi … la liste est trop longue.
Les dictateurs arabes, Sissi ou MBS, écrasent leurs peuples et sont à la fois des collabos contre les Palestinien·nes et des alliés inconditionnels de Trump. Celui-ci a renversé la table en déménageant l’ambassade états-unienne en Israël à Jérusalem. Il est bon de rappeler que, sous Obama, le Congrès avait pris la même position et que la première déclaration de Biden, sitôt investi comme candidat démocrate, a été de dire que l’ambassade resterait à Jérusalem.
Quel est le raisonnement de Nétanyahou ? De nombreuses annexions ou crimes contre l’humanité dans le monde ne sont plus vraiment contestés : l’annexion du Sahara Occidental par le Maroc ou celle de la Crimée par la Russie. La répression russe en Tchétchénie ou chinoise contre les Tibétains ou les Ouïghours suscitent bien peu de réaction.
Le sionisme a toujours procédé par le fait accompli. Dans les années 2000, Sharon expliquait qu’il fallait occuper le maximum de territoires parce que “tout ce que nous occupons sera à nous”.
Jusque-là, l’Occident a tout accepté : le rouleau compresseur colonial, les invasions, les crimes de guerre. Nétanyahou est persuadé qu’il acceptera l’annexion d’une bonne partie de la Cisjordanie. Il sait déjà que les premiers qui accepteront seront les dirigeants collabos d’Égypte ou du Golfe.
Le rapport de force est très favorable à l’occupant·e. Il est une pièce maîtresse de la domination occidentale dans la région. Il dispose partout d’ami·es et de complices. Les GAFA le soutiennent. Facebook vient d’engager une experte israélienne de la censure, Émi Palmor, pour “traquer les discours de haine” (comprendre la critique d’Israël). Paypal ferme les comptes des associations soutenant les droits des Palestinien·nes, Western Union interdit certains transferts d’argent vers la Palestine, Air BNB promeut le tourisme dans les colonies… La complicité des États va jusqu’à forcer le directeur du musée juif de Berlin à démissionner parce qu’il ne donne pas la “bonne” définition de l’antisémitisme.
Sur le fond, le projet d’annexion ne change pas grand chose à la réalité de ce que vivent les Palestinien·nes. Les Israélien·nes détiennent déjà la totalité du pouvoir politique, économique et militaire. Les Palestinien·nes vivent dans une grande prison avec la menace perpétuelle de l’agression et de l’expulsion. L’annexion va un peu plus étouffer une population déjà asphyxiée.
Pourtant, tout le monde a bien conscience de ce que signifierait l’annexion : la fin de tout “droit”, la généralisation de la loi du plus fort, la fin définitive du mythe du “processus de paix”, l’officialisation d’une recolonisation du Proche-Orient. 28 ans après une lutte victorieuse contre l’apartheid sud-africain, le monde avaliserait l’officialisation de l’apartheid israélien
Très hypocritement, l’ONU et l’Union Européenne soutenaient une coquille vide : la “solution à deux États” dont le mythe aura permis à l’occupant d’installer des centaines de milliers de nouveaux colons et de voler toujours plus de terre. Le mythe s’écroule. Quels prétextes trouveront ces institutions pour continuer cette complicité avec le sionisme et cette approbation tacite de la destruction de la société palestinienne ?
La résistance
Les Palestinien·nes disent souvent “vivre c’est résister”. Le superbe film Le Char et l’Olivier de Roland Nurier montre cette résistance quotidienne. Résister est de plus en plus difficile, il y a des gens qui tentent de fuir, on les comprend. Mais fondamentalement, la société palestinienne ne s’effondre pas. Elle continue d’essayer de produire, de cultiver la terre, d’éduquer massivement les enfants. Fragmentée, soumise à des statuts de domination différents et à l’arbitraire permanent, elle continue d’exister. Les sionistes ont toujours rêvé que les Palestinien·nes disparaîtraient comme peuple pouvant exiger ses droits comme les populations autochtones d’Amérique ou d’Australie. Mais voilà : même dominé·es, humilié·es, violenté·es, les Palestinien·nes forment 50 % de la population et l’occupant·e a toutes les peines à les faire disparaître du paysage.
Même en Israël, il y a des résistances. Courageusement, des milliers de manifestant·es ont défilé à Tel-Aviv. La partie “européanisée” de la population qui souhaiterait vivre normalement ne se reconnaît plus dans cet État dirigé par une espèce d’OAS fascisante. Même parmi ceux et celles qui continuent de se réclamer du sionisme, certains ont conscience que l’annexion pourrait conduire à l’isolement et à une réprobation internationale.
Et ils/elles n’ont pas tort. Après des années d’attente, la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) a rendu son verdict. Elle infirme le jugement qui avait condamné les militant·es de Mulhouse pour une action de boycott il y a maintenant neuf ans. Elle condamne la France à leur verser de lourdes indemnités. Ce jugement met par terre toute la jurisprudence qui avait tenté de criminaliser le BDS et d’intimider de nombreux militant·es de la solidarité.
Comment expliquer ce jugement ? Bien sûr, l’Union Européenne, premier partenaire économique d’Israël, continue d’être complice. Le Parlement européen a voté un accord aérien avec Israël. Le Parlement français a voté la résolution Maillard qui essaie de criminaliser l’antisionisme. En Allemagne, les comptes bancaires des associations juives solidaires des Palestiniens·ne ont été fermés. En Europe de l’Est les régimes autocratiques, dont les racines idéologiques se mêlent souvent avec les mouvements antisémites qui ont soutenu l’Allemagne nazie, sont les supporters les plus fervents d’Israël.
Pourtant cette Europe-là a senti que l’interdiction de la parole contre les crimes d’Israël aurait des conséquences graves. Les juges n’ont pas voulu que l’Europe suive Trump et Nétanyahou dans leur ostentation du déni de tout droit. Les provocations de Nétanyahou qui annihile de lui-même la pseudo solution à deux États et qui brandit sans arrêt l’antisémitisme tout en s’alliant avec de vrais fascistes ont fait le reste.
Relancer le BDS
On entend souvent dire en Palestine que l’issue de cette guerre dépend à la fois de la capacité des Palestinien·nes à survivre en tant que société et de notre capacité à forcer nos dirigeant·es à changer de politique. Ils/elles rappellent que la guerre qui les a dépossédé de leur pays est née à l’extérieur : de la déclaration Balfour, du colonialisme britannique, de l’antisémitisme européen, de la partition de la Palestine, de l’admission d’Israël à l’ONU alors que ce pays violait toutes les résolutions à commencer par celle sur le retour des réfugié·es, du soutien inconditionnel états-unien à Israël…
La décision de la CEDH annonce une relance coordonnée des actions de Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre Israël. Un Boycott qui doit être total : politique, économique, commercial, scientifique, culturel, universitaire, sportif, syndical… Il s’agit de mettre au ban de l’humanité un État voyou.
Fondamentalement, derrière la question de la Palestine se pose la question du monde dans lequel nous voulons vivre. Refuser le colonialisme, le racisme, le suprématisme, la prison sécuritaire, la répression violente, l’enfermement massif, la discrimination institutionnelle, c’est soutenir la Palestine.
Nous aurons aussi, sans relâche à combattre l’obscénité de l’instrumentalisation de l’antisémitisme. Les dirigeants·e israélien·nes sont bien plus proches, idéologiquement, de ceux/celles qui ont commis le génocide nazi que de ceux/celles qui l’ont subi. Nous ne les laisserons pas parler au nom de la mémoire des victimes.
Pierre Stambul