Rarement on aura vu une rentrée scolaire aussi problématique pour les personnels, comme pour les jeunes. Alors que l’évolution de la pandémie de Covid-19 fait planer de nombreuses incertitudes, les attaques gouvernementales se poursuivent. Et par ailleurs, une réalité évidente : rien n’est prêt, contrairement aux propos du ministre à la télévision.
À deux semaines de la rentrée scolaire, la menace qui se précise d’une deuxième vague dans la pandémie de Covid-19 occupe l’actualité et pose la question des protocoles sanitaires, voire d’un retour au confinement. Pourtant, du côté du ministère de l’Éducation nationale c’est le silence complet sur ce sujet qui inquiète à juste titre tous les personnels, les jeunes, les parents.
Quels moyens mis en œuvre ?
Pendant l’été, un nouveau protocole sanitaire a discrètement été publié. Contrairement à ce qui s’applique partout ailleurs, il n’y aura plus de distance physique obligatoire à respecter, que ce soit dans les classes, les couloirs, les cantines, les cours de récréation. Les cours à 30 élèves (et plus en lycée) vont donc pouvoir reprendre. Bien entendu les “gestes barrière” restent recommandés, les regroupements devront être limités, les distances physiques aménagées “si possible”, les locaux et mobiliers désinfectés une fois par jour, mais au final une seule obligation subsiste, le port du masque, à la charge des parents, sauf à l’école primaire.
La circulaire de rentrée du 10 juillet, annonce 1 248 postes créés dans le cadre de la crise sanitaire pour le premier degré, et 4 000 créations supplémentaires de postes d’AESH (Accompagnant·es Élève en Situation de Handicap). Pour 50 500 écoles, faites le compte ! On ne sait pas comment ces postes seront pourvus, sans doute par l’embauche de personnels précaires en CDD, comme devrait le préciser le “plan de relance massif” qui est envisagé.
Pour le second degré, pas de postes d’enseignant·es, mais un million cinq cent mille heures supplémentaires pour l’accompagnement personnalisé et l’aide aux devoirs. Qui va les faire, alors que beaucoup de collègues ont terminé l’année 2019-2020 épuisé·es ? Mais aussi : 1,5 millions d’heures ponctuelles alors qu’il y a plus de 5 millions d’élèves, cela représente peu de chose… même en les limitant aux élèves “en difficulté”. D’autre part, 130 000 heures d’Assistant·es d’Éducation sont aussi prévues : cela représente environ… 100 emplois pour plusieurs milliers d’établissements.
Préparer une vraie rentrée avec comme priorité la dimension sanitaire et les conditions d’apprentissage était possible et nécessaire. Par exemple : prononcer l’admission de tou·tes les admissibles aux concours, réemployer et titulariser à la rentrée tou·tes les personnels précaires, fournir des masques gratuits à l’ensemble des personnels, élèves et parents, etc.
Cela permettrait de diminuer les effectifs par classe et de mettre en place des dédoublements, (et donc diminuer le risque sanitaire). Y compris un gouvernement libéral comme celui d’Italie a annoncé d’importants recrutements dans ce but… mais cela serait contradictoire avec les principales priorités de Macron : défendre les profits de l’économie capitaliste, mener une politique de désagrégation de l’école publique.
Quelles urgences pédagogiques ?
Ce n’est pas seulement la question des moyens qui se pose, mais aussi celle des contenus à enseigner et des pratiques pédagogiques. Il est indispensable que tou·tes les enfants et les jeunes puissent reprendre le chemin de l’école. Mais dans quelles conditions vont-ils/elles aborder les apprentissages de cette nouvelle année scolaire ? On le sait, malgré les affichages du discours officiel, le confinement a introduit une rupture très importante pour les élèves, en particulier pour les plus fragiles. Les dispositifs largement relayés dans les médias n’ont été la plupart du temps que des effets d’annonces.
Là aussi, les enseignant·es sont pris·es entre des injonctions contradictoires. Il y a d’une part la nécessité évidente de prendre en compte les lacunes et l’aggravation des écarts suite à la période de mars à juin, et d’autre part les contradictions du Ministère qui dans la circulaire de rentrée affirme : “Une priorité absolue : consolider les apprentissages des élèves en identifiant leurs besoins et en y apportant une réponse personnalisée” mais qui dans la même circulaire affirme aussi qu’il faut “Poursuivre l’élévation générale du niveau”, et met la pression, avec le relais de l’Inspection, pour que les programmes soient impérativement mis en œuvre, tels qu’ils avaient été définis hors du contexte de crise actuel. Pire, le ministère persiste à vouloir imposer des évaluations nationales en élémentaire et en sixième.
Dans le même temps, en lycée la contre-réforme est maintenue, notamment les “E3C” (Épreuves communes de contrôle continu) qui avaient été massivement rejetées par les personnels. Leur inanité ne fait plus de doute : elles avaient généré beaucoup d’angoisse, forçant élèves et enseignant·es à une course contre la montre dès septembre, ne présentant aucun intérêt pédagogique… et constituaient des vecteurs d’inégalités et de casse du bac national.
Pourtant là aussi, la satisfaction de revendications d’urgence était possible et nécessaire :
– du temps pour se retrouver, pour reprendre la voie des apprentissages : des cours dédoublés pour rattraper progressivement les retards d’apprentissage, un allègement des programmes quand les enseignant.es le demandent ;
– l’abandon des évaluations de début d’année et suppression des E3C en cours d’année.
Mutations, statuts et casse du métier
Un autre aspect qui touche au statut des personnels, c’est l’application dans l’Éducation nationale de la loi de “Transformation de la Fonction publique”. Ainsi, pour la première fois, des collègues sont muté·es, d’autres voient leur demande de mutation refusée, sans qu’aucun syndicat soit en mesure d’expliquer pourquoi. En effet, les Commissions Administratives Paritaires (représentant·es élu·es des personnels) ne sont plus réunies pour vérifier le respect des barèmes de mutation. La porte est d’autant plus grande ouverte au favoritisme et à la méritocratie que l’administration a toute liberté pour transformer des postes en “postes spécifiques”. Ainsi ce 2 juillet 2020, un communiqué du SNES-Paris dénonçait la nomination de la fille d’un haut responsable au Rectorat de Paris sur un poste de Conseillère Principale d’Éducation, logée “par nécessité de service” dans le Quartier Latin, poste prétendument spécifique. L’absence de contrôle syndical vaut aussi pour les avancements d’échelon et les promotions.
Cela n’est sans doute que la première étape. Par exemple, le développement envisagé ici ou là du “télétravail” serait à la fois une régression pédagogique et humaine inédite (l’enseignement à distance n’est pas un “vrai” enseignement (1), les interactions humaines pourtant nécessaires au suivi des élèves, à la construction de la confiance et de l’écoute… sont réduites à la portion congrue)… et une atteinte à la notion même de service hebdomadaire. Cela produirait une individualisation à l’extrême sans cadre collectif pour se battre, une souffrance professionnelle sans précédent.
Ces menaces sont d’ores et déjà diffuses : c’est pourquoi le rôle des organisations syndicales ne serait pas d’aller discuter de la “revalorisation” enseignante dans le cadre de “concertations” annoncées par Blanquer, qui ne peuvent avoir comme but que de préparer cette “flexibilité” des conditions de travail (2).
C’est pourquoi il est indispensable que les personnels se retrouvent dès la rentrée pour débattre, se réunir en AG… pour la satisfaction des revendications urgentes, ne pas se laisser imposer la déréglementation ni l’arbitraire, ne pas se faire confisquer leur métier.
Raymond Jousmet & Quentin Dauphiné
(1) Les personnels ont fait tout leur possible pour maintenir le lien pédagogique avec les élèves, ce qui est en cause n’est pas leur travail mais l’incurie gouvernementale.
(2) Rappelons que l’annonce d’une discussion sur la “revalorisation” était conçue comme la (modeste) contrepartie de l’application de la retraite “par points”… et conditionnée à un allongement du temps de travail.
Face à la répression et au mépris des personnels, mobilisons-nous !
En même temps, comme dirait Macron, la répression se poursuit à l’encontre de celles et ceux qui relèvent la tête. Ainsi les trois collègues du lycée de Melle, dans l’académie de Poitiers, réprimé·es pour fait de grève et pour s’être mobilisé·es contre les Épreuves Communes de Contrôle Continu (E3C) du bac, ont vu leur suspension à titre conservatoire prolongée jusqu’au 10 novembre. Cela fera huit mois de suspension pour fait de grève ! Un Conseil de Discipline est prévu en septembre. La date précise n’est pas encore connue, mais le collectif de soutien, avec le concours des organisations syndicales, proposera un rassemblement national devant le Rectorat de Poitiers le jour du Conseil de Discipline.
La répression ne sévit pas seulement dans l’Éducation nationale.
Depuis le déconfinement et encore plus à la faveur de l’été, c’est à une véritable vague de répression que nous assistons dans les entreprises et les services publics : inspection du travail, RATP, SNCF, Éducation, Pôle Emploi, La Poste, universités, lycées… jusque dans les hôpitaux et EHPAD en pleine crise sanitaire !
Répression pour son activité syndicale, répression pour s’être mobilisé·e notamment lors de la grève historique de cet hiver, répression pour avoir lancé l’alerte, ou même simplement pour avoir fait son travail… Cette violence patronale et gouvernementale s’abat contre celles et ceux qui relèvent la tête, avec des niveaux de sanctions inédits : exclusions de trois mois, suspensions de huit mois, jusqu’au licenciement ou la révocation dans plusieurs cas !
Face à cette vague, des travailleurs et travailleuses réprimé·es de différents secteurs, avec une dizaine de comités de soutien, ont décidé de s’unir afin de refuser ensemble la généralisation de ce management par la peur et ses conséquences dramatiques sur le monde du travail.
Avec elles et eux, non seulement pour s’opposer à la répression mais aussi pour faire échec aux régressions sociales qui se poursuivent en profitant du contexte de crise sanitaire, il est plus que temps de relever la tête.