Qu’il s’agisse de retraites, de la réforme du Bac ou du coronavirus, il est de bon ton de comparer avec l’Allemagne, de s’extasier sur les résultats du bon élève. Alors, quelle est la situation ?
Je me contenterai de décrire ce que je peux constater moi-même dans un rayon de quelques kilomètres autour de chez moi.
Les écoles sont fermées. Les élèves doivent, théoriquement, travailler à la maison… Sur les huit familles dans lesquelles je me rends en temps normal, seules trois familles possèdent le matériel permettant d’avoir accès à l’enseignement à distance. Ayant constaté que plusieurs élèves n’avaient rien fait du tout pendant le confinement, j’en ai fait part aux enseignant·es et ai reçu d’un prof de math un mail d’une page m’expliquant que le jour de la fermeture des établissements, les enseignant·es avaient demandé aux élèves s’ils/elles avaient des problèmes de matériel informatique. Dans une 5e classe (âge du CM2 en France) personne n’aurait rien dit, il n’y aurait donc pas de problème! Ici, aucun·e enfant de cet âge ne reconnaît, même indirectement, devant sa classe, que sa famille est pauvre, car il s’exposerait à des moqueries. Tout le monde est censé avoir tout ce qu’il faut.
Je lis dans la presse qu’une mère de famille dont le fils n’avait ni PC ni la ptop à sa disposition intente un procès aux services sociaux qui ont prétendu que l’allocation de rentrée de 160€ permettait de s’acheter ce matériel sans problème.
J’ai envoyé à la presse locale une contribution intitulée “La crise du coronavirus renforce les inégalités”, elle a paru in extenso.
La réouverture sera progressive. Ce sont les élèves de la 10e et de la 13e classe, classes d’examen, qui rentreront les premier·es, probablement le 4 mai.
Une école maternelle vient de rouvrir ses portes. Elle n’accueille que des petits groupes d’enfants dont les familles ont été considérées comme prioritaires.
Dans la région, il existe des entreprises de taille moyenne très spécialisées qui travaillent presque toutes pour l’industrie automobile. Elle sont actuellement fermées. Elles ont mis le personnel en chômage partiel et demandé des aides de l’État.
Sur les chantiers, le travail semble normal. Des ouvriers d’Europe de l’Est logent, tout près de chez moi, dans des containers.
Je continue à faire le tour de ce qui est dans le voisinage. Deux établissements accueillent des personnes âgées encore autonomes ou en état de dépendance. Aucun cas de coronavirus jusqu’à présent. Dans l’une des maisons, une personne prend en charge huit pensionnaires non mobiles et atteints de la maladie d’Alzheimer, c’est épuisant et mal payé.
Dans l’autre maison, plus spatieuse, la pandémie a été devancée par l’achat de matériel et une formation du personnel.
À deux pas de chez moi, un laboratoire pharmaceutique a conçu un test de dépistage du coronavirus qui commence à être utilisé à grande échelle.
Toujours à Lich, commune de 17 000 habitant·es réparti·es sur un centre-ville et six villages, il y a un hôpital régional privatisé. Il y a environ un mois, on pouvait voir, tous les matins, une longue file de personnes attendant dehors, devant un bâtiment annexe. J’habite à environ 400 mètres de là et ai appris par la presse qu’il s’agissait d’un centre de dépistage de la maladie. Au bout de deux semaines, le centre a été transféré à Gießen, dans une salle de sport délaissée actuellement par le club de basket de première division nationale.
Il n’est pas exact de dire que tout le monde est dépisté en Allemagne. Pour accéder au dépistage, il faut avoir été envoyé·e par un médecin, avoir donc une sorte d’ordonnance. Le centre de Gießen a reçu la visite du ministre fédéral de la santé, il est donc considéré comme performant.
À l’hôpital voisin de chez moi, deux étages ont été libérés pour accueillir des malades du virus. Toujours rien, mais il vaut mieux prévoir. Un parking a été fermé, il doit servir d’aire d’atterrissage pour hélicoptères.
Dans tout le “Landkreis” de Gießen, qui compte 400 000 habitant·es, n’ont été enregistrés que 190 malades, une seule personne est décédée. 18 personnes sont en réanimation à Gießen.
La situation économique la plus dramatique est celle des boutiques du centre-ville, de la gastronomie, du cinéma en bas de ma rue, ainsi que des artistes indépendant·es. Pas sûr que tous et toutes s’en remettront.
Il y aura des profiteurs de la pandémie : Amazon, la grande distribution, tout le commerce en ligne.
J’ai trouvé hier, dans ma boîte aux lettres, une publicité pour livraison à domicile de petits déjeuners.
Il n’y a toujours pas de “Klopapier”, papier hygiénique, dans les magasins, tout a été raflé dès le premier jour de la crise !
Je laisse chacun·e juger et comparer. Ici, pas de contrôles policiers, beaucoup d’auto-discipline.
Beaucoup d’incertitude aussi concernant le déconfinement.
Françoise Hoenle