Humeurs noires
Victor est psy en milieu carcéral, et, la moitié de son temps, il écoute les enfants de la taule, ces condamnés pour le pire qui n’ont jamais connu le meilleur, comme Marcus, qui a tué son père boucher qui le battait avec le fusil à aiguiser.
Mais Victor est mal chaussé. La fêlure est en lui. Il rêve souvent d’une rousse, d’un cou marbré par les ombres d’un tilleul, d’un visage, sans nez, sans yeux, sans bouche. Seulement un magma de sang.
Aussi quand on retrouve une femme le visage fracassé sur la grève et qu’un homme auprès du cadavre murmure son nom, Victor ne comprend pas que tout a déjà basculé.
Entre deux Nesbo, j’avais ouvert Somb de Max Monnehay, croyant faire une pause. Funeste erreur. Il y a chez cette auteure (hé oui Max est une femme) une virtuosité narrative et un sens du suspense qui n’est pas sans rappeler Jo. J’ai lu les 294 pages d’une traite. Donc ne comptez pas sur moi pour vous résumer l’intrigue : résumer, c’est dégonfler.
En revanche, sa touche personnelle, sa petite musique intime, ses mots ne sont qu’à elle. On mène toujours les combats qu’on aime, même si on a peu de chance de les gagner.
Partir en guerre contre le cynisme en est un exemple : “Me too… Les femmes avaient besoin de faire un peu de raffut pour avoir l’impression d’être écoutées. […] C’était malin de leur part. Mais pas très efficace […] Cantat chante, Polanski tourne, Tron a été acquitté et même Weinstein se dore les poils de cul * dans des pseudos-cliniques de luxe luttant contre les addictions à dix mille dollars la nuit”. (page 190)
Humaniser le monde de la prison en est aussi un autre : “Le problème avec Marcus [est] qu’il ait été emprisonné alors qu’il n’était encore qu’un gamin [devenant ainsi] un pur produit du système carcéral français. Un enfant de la taule”. (page 201)
Rendre la justice en est enfin un autre : “Les innocents ne pensent pas à se défendre. Ils vivent dans l’illusion que leur innocence suffira à les sortir de là. […] Les coupables font souvent de meilleurs innocents”. (page 179)
Mais, et c’est sans doute là, son tour de sentiment, ce livre, dans quelques lignes, peut vous faire venir les larmes aux yeux. Les mots sont si puissants que le film, c’est vous qui vous le faites. Un peu comme si le livre que vous teniez dans les mains était celui dont vous êtes le sombre héros de l’amer. Noir Désir a sombré. Pourquoi pas vous ?
François Braud
■ Somb, Max Monnehay, Seuil, Cadre noir, mars 2020, 294 pages, 18,50 e.
À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12e, 01 44 68 04 18, didier.mainchin@gmail.com).
* en déambulateur (note du critique)