Les nôtres
Du plus loin que notre groupe de militantEs s’en souvienne,
– Il y a eu Sylvie, jeune enseignante de lettres classiques au collège de Oissel… prenant contact pour la première fois avec le Groupe Départemental de l’ÉÉ en 1975.
Elle avait d’abord exercé à Creutzwald en Lorraine avant d’être mutée en Seine-Maritime. Après Oissel, elle est restée longtemps au collège Louise-Michel de Saint-Étienne-du-Rouvray, puis elle a fini sa carrière au lycée Corneille de Rouen.
– Il y a eu Sylvie, directrice de colonie de vacances en Corse. C’était un camp itinérant d’adolescentEs. Quelle aventure ! Tenter d’intéresser aux beautés de l’Ile des jeunes très attiréEs par les boîtes de nuits et fascinéEs par des légionnaires de retour de Kolwesi, les initier à la pratique de l’autonomie en camping, aux bivouacs sur le GR20… Sylvie avait vraiment mérité son diplôme !
– il y a eu Sylvie, syndicaliste… Plusieurs fois élue à la CA académique du SNES pour l’ÉÉ et pour Émancipation après la scission, elle a aussi été commissaire paritaire nationale puis académique. Cela lui demandait des sacrifices, notamment rentrer plus tôt d’Esparaza où elle passait l’été après la Semaine, mais elle prenait très à cœur le côté humain du rôle de commissaire paritaire. Grâce à son excellente mémoire, elle connaissait la position géographique de nombreuses villes ainsi que les routes ou lignes ferroviaires pour y accéder. Cela lui permettait d’essayer de dénicher le poste le plus adapté à chaque situation personnelle.
– Il y a eu Sylvie, toujours disponible pour réfléchir, élaborer, transmettre…
Que de temps passé en réunions du GD, que d’heures occupées à préparer des textes pour les CA ou les congrès !
Elle veillait à porter du rouge et du noir quand elle intervenait au nom de l’ÉÉ : j’ai adopté ce code vestimentaire. Plus important, c’est par un texte qu’elle avait écrit pour la FEN que j’ai découvert le projet porté par l’ÉÉ d’une école unique, laïque et démocratique, où une culture émancipatrice serait garantie à touTEs sans ruptures ni orientations jusqu’à la fin du lycée. Par la suite, c’est ensemble que nous avons défendu la mise en place d’un enseignement polyvalent et polytechnique, où les savoirs ne seraient pas hiérarchisés, où les pédagogies actives seraient privilégiées…
Nos différends portaient essentiellement sur l’ordre des paragraphes dans les textes : elle voulait commencer par le plus important et je voulais finir par ce qui était essentiel. D’après elle, c’était dû à ma formation scientifique alors que la sienne, littéraire, l’incitait à faire l’inverse…
– Il y a eu Sylvie et son engagement sans faille contre la précarité et pour la Laïcité…
Ce projet d’école unique ne pouvait aller sans la revendication d’un corps unique des personnels, de la maternelle à l’université, où tous les personnels auraient un même statut de fonctionnaire d’État. Pour ce statut, elle s’est investie sans compter avec les MA étrangers, dans les Collectifs de Non-Titulaires, au niveau local ou national.
Elle tenait tout autant à la fin du dualisme scolaire et militait pour un système éducatif laïque national et unifié. À travers le CREAL 76 (Comité de Réflexion et d’Action Laïque), elle a été engagée jusqu’au bout pour la Laïcité.
Je me rappelle sa colère quand des membres de l’ÉÉ ont voulu rogner sur les deux revendications qui lui tenaient le plus à cœur :
– la titularisation immédiate et sans conditions de concours ni de nationalité de tous les personnels non titulaires, et l’arrêt du recrutement de précaires,
– la nationalisation sans indemnité ni rachat de toutes les écoles confessionnelles ou patronales, avec intégration des personnels non confessionnels dans le service public d’enseignement.
Elle ne supportait pas qu’on en enlève un seul mot.
– Il y a eu Sylvie, la bonne vivante, très attachée aux retrouvailles amicales rituelles : la Semaine, la “dinde” de fin d’année, les vacances de printemps à Bréhat…
En vacances, elle restait prof : arrivéE en première, chaque jeune séjournant à Bréhat se voyait sollicitéE, avec bienveillance et fermeté, pour un entrainement à l’oral du bac, tout cela sur la base du volontariat conforme à l’esprit libertaire de Sylvie. Les résultats obtenus démontrèrent ses grandes qualités d’enseignante !
À Bréhat encore, il y avait les séances de cartes postales auxquelles il était impossible de se soustraire même si au fil des ans un ras l’bol pouvait habiter les vacancièrEs : ça lui faisait tellement plaisir !
Elle aimait tant rassembler ses amiEs autour d’un bon repas bien arrosé : ses deux “têtes de veaux” étaient mémorables. Deux soirées, autour du 21 janvier, pour recevoir plus de monde… et quand elle a dû y renoncer, ce fut un déchirement.
Il y a eu Sylvie photographe qui distribuait ses photos aux copines et copains.
Il y a eu Sylvie toujours préoccupée des soucis des autres : santé, difficultés parentales, matérielles…
– Et puis il y a eu Sylvie malade, une Sylvie qui, sans n’avoir rien oublié des précédentes, n’était plus tout à fait elles.
Son côté anticlérical a pourtant trouvé moyen de s’exprimer à l’hôpital. Je me trouvais seule avec elle quand une femme s’est présentée pour l’aumônerie catholique. J’ai commencé à rire et dit “Je ne pense pas qu’on ait besoin de vous”, puis me tournant vers Sylvie : “Qu’en penses-tu ? C’est l’aumônerie catholique”. Elle a souri… En éconduisant l’importune, je lui ai dit “Vous avez au moins le mérite de l’avoir fait sourire”.
Catherine Dumont, pour le GD 76