Émancipation


tendance intersyndicale

Et contrairement au meilleur, on peut toujours compter sur lui

Polar

Chronique du bonheur à trouver, L’horizon qui nous manque est le dernier roman noir de Pascal Dessaint, publié chez Rivages/Noir. Le Toulousain revient chez lui, dans le Nord, entre Gravelines et Calais, entre nature et industrie, entre civilisation et sable, entre dunes et terre, entre laissés-pour-compte et compte là-dessus, entre les lignes, dans la marge.

“Le garage, posé sur la pelouse, était le point central d’une galaxie composée de trois planètes ; la baraque à frites, le mobile home d’Anatole et ma caravane.” (page 13)

Ma caravane, c’est celle de Lucille, une femme revenue de loin, qui a tout plaqué, “une bonne situation, un salaire sûr, pour aller faire la bénévole sur la jungle”. (page 93). Elle est posée là où Anatole l’a acceptée, “coincée […]. La mer avait monté, recouvrant à nouveau tout jusqu’au rivage. Les vagues claquaient lentement contre le phare […] Un balancement maudit, disait la chanson, qui met le cœur à l’heure”. (page 105) À l’heure de quoi ?

La baraque à frites, c’est là où s’est réfugié Loïk, un autodidacte réaliste : “Quand un gars récidive, c’est pas qu’il est plus con qu’un autre. C’est seulement qu’il est con plus souvent. Nuance”. (page 40) On s’élève comme on peut. “[D]ans son ascenseur social, il n’y avait qu’un bouton pour le sous-sol”. (page 135) Profond, il y est.

Tous deux sont “chez” Anatole. Anatole est un chasseur, “au plus bas de l’échelle” (page 12), qui peint des oiseaux, des appâts de bois. Il aime ces/ses bêtes, comme les autres, ceux qui s’arment de jumelles. Mais il ne les comprend pas : “Et ça a beaucoup de sens de regarder les oiseaux si tu ne les tues pas ?” (page 15) Le monde change. Pas lui.

Ils sont trois.

Ils attendent.

Quoi ?

Ils ne savent pas.

Les grandes décisions se prennent devant de petits flacons.” (page 171)

Mais les flacons sont rarement pleins, de vin blanc tiède ou de bière qui mousse. L’ivresse est limitée.

Ils attendent.

Quoi ?

Ils savent.

Ils vivent tous les trois, là, “dans l’attente du pire”. (page 74)

Et contrairement au meilleur, on peut toujours compter sur lui.

Ils vivent de peu, de bons de réduction, d’un travail de concassage, en arrosant des plantes, en se lançant de “pure(s) gabinerie(s)…” (page 99) à la gueule. Le grand Gabin hausse leur vie à défaut de hausser leur niveau de vie. Ils vivent au niveau de la mer qui les borde, les berce, les noie.

Il est vrai qu’ils n’ont rien d’autre à faire. Que d’attendre.

Quoi ?

Quand il n’y a plus rien à gagner, on peut continuer à tout perdre…” (page 217)

Perdre quoi ?

Peu importe ce que l’on a à perdre. L’essentiel est ailleurs, non ?

Ce qui serait bien avant de mourir, ça serait d’être heureux, un peu, tu ne crois pas ?” (page 21)

Anatole, Lucille et Loïk ne vivent ni ne survivent, ils sont là, dans le paysage, petits pions qui osent, soldats du quotidien. Et chacun, chacune, va filer son destin, pas celui qu’on vous fabrique mais celui qu’on suit, qu’on tisse, qu’on déchire. Le renoncement, l’abandon, la fuite.

Qui peut savoir de quoi sera fait demain ?

Qui peut déchirer l’horizon qui nous manque ?

Qui peut savoir ce que la vie cabosse ?

Et surtout, surtout, qui peut éviter que tout cela va mal finir ?

Refermer le livre, avec, au cœur, le sentiment d’avoir rencontré, non seulement une once d’humanité, mais pu, de lignes en lignes, confirmer une chose, et ça, c’est rare aujourd’hui sur le papier, est un crève-cœur. Pascal Dessaint est l’écrivain du gris, celui qui marche, trace son chemin, sa sente, défriche l’air, affole notre boussole. Il vit, non pas dans les pas de Pascal Garnier, mais à ses côtés, main dans la main, le cœur en bandoulière, et, putain, il s’en fout de savoir que ce dernier est mort, d’ailleurs, il n’y croit pas.

Ouvrir le livre, avec, au bord des lèvres, cette envie de mordre et de caresser, c’est ce qui vous attend.

François Braud

L’horizon qui nous manque, Pascal Dessaint, Rivages/Noir, 2019, 250p., 19 €.


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