Débat
Le fait qu’il faille monter tout un dossier pour l’administration (déroulement des activités, objectifs…) atteste du caractère éminemment pédagogique de toute sortie scolaire. Et le fait que l’encadrement soit confié à des parentEs d’élèves pose question.
Certaines sorties, comme les activités sportives et en particulier les cours de natation, relèvent des enseignements obligatoires. En terme d’encadrement, il n’est donc pas normal ici que l’État ne se donne pas les moyens d’assurer ses missions.
Un acte d’enseignement
D’une manière plus générale, les besoins en personnels pour l’encadrement des sorties relèvent de l’ensemble des moyens, nécessaires et donc exigibles, à mettre à disposition de l’école. Pourquoi un contingent de titulaires remplaçantEs ne serait-il pas alloué pour les sorties scolaires ? Certes, cela demanderait un peu d’organisation… (étalement dans le temps, toutes les sorties ne pouvant se faire en juin !) mais ajouterait un poids éducatif : une sortie scolaire, ce n’est pas pour s’amuser ou se promener mais pour apprendre et s’ouvrir au monde. Les sorties scolaires constituent bien un vrai acte d’enseignement. Dans ce cadre, il pourrait d’ailleurs y avoir une formation spécifique : exigence d’une formation aux premiers secours par exemple.
Le recours aux parents pourrait sembler la solution la plus simple. Ce serait occulter qu’il est très délicat pour unE enseignantE d’avoir à choisir entre parentEs. Et que dire de l’enfant dont aucun des deux parents ne pourra se libérer sur l’année ? De plus l’élève dont le/la parentE est là n’aura pas le même comportement vis-à-vis du groupe ou de la maîtresse/du maître.
En attendant le contingent de titulaires remplaçantEs (cela pourrait être une revendication syndicale), il ne paraît pas difficile de trouver des encadrantEs autre que parentEs d’élèves. Nombre de bénévoles se sont proposéEs lorsqu’il a fallu installer des ateliers lors de l’aménagement du temps scolaire. Les municipalités peuvent être mises à contribution. Bien entendu, ces encadrantEs sont choisiEs pour leur compétence avec soin par l’enseignantE et ne sauraient se soustraire aux obligations du personnel enseignant à l’école publique. En particulier sur le caractère laïque de leur participation ce qui exclut tout signe religieux ostentatoire. De même aucun signe politique ne saurait être affiché. Un stage organisé par l’Éducation nationale devrait d’ailleurs être proposé à ces encadrantEs à l’issue duquel ils/elles seraient habilitéEs à l’instar des intervenantEs extérieurEs.
Ouverture de l’école
Ce qui est écrit ci-dessus ne signifie nullement que l’école se ferme aux parentEs. Des réunions d’information, de préparation des sorties auront lieu forcément avec les parentEs. La fête de l’école réunit les élèves, les parentEs, les enseignantEs, les voisinEs, les amiEs etc. Mais l’acte d’enseignement – du moins les objectifs et mises en pratique – appartient à l’enseignantE. Ne glissons pas vers les pratiques de certains établissements privés où lorsqu’unE professeurE est absentE, des parentEs sont sollicitéEs pour le/la remplacer…
Tenue vestimentaire
“Mamans voilées” : le terme est en lui-même péjoratif voire condescendant. C’est figer la personne dans un rôle social et dans son appartenance à un groupe religieux. Cela renvoie à une société sexiste où la femme s’occupe des enfants, du foyer, où le père est ailleurs, dehors. Catherine Kintzler parle de la “figure familialiste de la « maman »”. De plus l’élève est privéE d’une ouverture vers l’extérieur que constituerait unE intervenantE autre que parent. Et accepter que des accompagnantes soient voilées installe de fait une banalisation du voile ; c’est habituer les élèves à trouver le port d’un signe religieux, ici le voile, anodin ou naturel dans le cadre des apprentissages scolaires.
Henri Pena-Ruiz, dans le Dictionnaire amoureux de la laïcité, écrit (page 33) :
“[…] Pour l’accompagnant(e) scolaire, il ne s’agit pas d’ « accompagner ses enfants » mais d’encadrer une classe composée d’élèves. Jamais aucune « maman » n’a accouché d’un élève. Lorsque des parents se portent volontaires pour jouer un tel rôle d’encadrement, leur tenue n’est pas indifférente. S’ils manifestent leur foi par un signe religieux ils blessent les athées, et s’ils manifestent une conviction athée, ils blessent les croyants. Imagine-t-on un parent prétendre encadrer une sortie scolaire en portant un tee-shirt sur lequel serait écrit « humanisme athée » ? Les élèves croyants comprendraient mal qu’un acte pédagogique (la sortie scolaire) se fasse sous l’égide d’une personne d’encadrement manifestant ainsi son appartenance spirituelle. Il en va de même de toute personne volontaire pour encadrer une sortie scolaire, qu’elle soit croyante ou athée. La neutralité nécessaire de sa tenue découle de la fonction d’encadrement qu’elle remplit. Le rapport de parenté, souvent invoqué de façon compassionnelle, ne peut lui être opposé.
Dans l’exercice de ses fonctions d’accompagnement, toute personne participant à l’encadrement des élèves (et non pas des enfants) se doit donc de les respecter tous de façon égale, par une tenue neutre. […]”
Je comprends et soutiens toutE parentE qui se dit choquéE qu’une personne voilée encadre une sortie scolaire. Comme je soutiens le fait d’exiger que soient décrochés les crucifix dans une salle d’examen domiciliée dans un établissement catholique pour garantir aux candidatEs de l’enseignement public la neutralité religieuse.
L’article L.141-5-2 du Code de l’éducation (loi n°2019 -791 du 26 juillet 2019 art 10) stipule :
“L’État protège la liberté de conscience des élèves. Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement.”
Pour voir plus loin… : on ne peut pas occulter non plus ce que représente le voile comme signe de soumission et d’enfermement pour la femme et faire semblant d’oublier les combats ici et ailleurs pour s’en délivrer. Qui a intérêt à vouloir imposer le voile dans l’École publique laïque, de quel cheval de Troie est-il le nom ?
Nadine Demel