Émancipation


tendance intersyndicale

Bacurau

Cinéma

Juliano Dornelles était chef décorateur des deux premiers longs métrages de Kleber Mendonçà Filho ainsi que d’un court métrage : Recife Frio. C’est au festival de Brasilia que leur vient l’idée de la réalisation commune d’un film qui se passerait dans la région pauvre et infertile du Nord-Est du Brésil, le sertao.

Juliano Dornelles lors d’une interview par l’Association Française des Cinémas Art et Essai affirme que “ce grand Festival, par sa diversité, ses insuffisances et ses contradictions les a poussés à  montrer les personnes de cet autre monde pauvre et isolé qui se vengent de ceux/celles qui les ont toujours vues comme simples, fragiles etc. alors qu’elles sont tout aussi complexes et intéressantes”. 

On retrouve dans cette œuvre ce mélange de réalisme implacable et d’imaginaire surréaliste qui caractérisait le cinéma brésilien des années 60, participant au mouvement de contestation mondial qui chez nous aboutit à la floraison de mai 68.

Glauber Rocha et d’autres firent servir le mythe à la dénonciation des inégalités, exactions, injustices. Ils renouvelèrent du même coup les formes esthétiques, mêlant légendes, danses et chansons à l’action proprement dite.

C’est avec la même vigueur et liberté qu’est élaborée cette fable d’un village rayé de la carte qui s’obstine à exister, fort de sa vie communautaire et des liens qu’elle engendre et entretient. La dimension fantastique intègre la présence d’OVNIS produits par une faction américaine clandestine chargée d’épurer physiquement le territoire. Le contraste de cette pseudo modernité avec la misère des paysan·nes survivant comme dans le passé – voitures vétustes et portables exceptés – est donc maximum.

De superbes paysages (le film est tourné en format panoramique Panvision) sont le fond serein, impassible, de scènes extrêmement violentes où rien des poursuites et exécutions, du sang, de la mort, ne nous est épargné.

Sans doute le film n’aurait-il rien perdu à s’épargner le recours à la science-fiction. L’ inhumanité des agresseurs fascistes suffisait à démontrer, juste avant l’élection de Bolsonaro qui redonne à l’oeuvre une neuve actualité, ce qui menace le Brésil et bien d’autres pays. Les réalisateurs justifient cette audace par les effets de la mondialisation jusque dans ces régions délaissées : “Aujourd’hui dans le Nordeste on trouve des vêtements et des technologies de masse chinois, des couleurs, une architecture et un accès à l’eau ou à l’Internet qui fait que cette région échappe à son image traditionnelle et aux clichés véhiculés par certains films et feuilleton télévisés”.

Le jeu des acteurs et des actrices, jusque dans la violence, reste mesuré dans l’ensemble, tout de dignité, hormis au début, le délire d’une femme médecin lors de l’enterrement de la matriarche du village ; sans doute parce que la psychologie doit s’effacer devant la dimension politico-philosophique du scénario.

Deux heures durant on se laisse porter par cette magie rose et noire, entre contemplation et émotions fortes, images d’une nature majestueuse et suspense dramatique d’où émerge, à notre soulagement, un espoir de justice et de paix.

Marie-Claire Calmus

Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, Brésil-France, 2019.


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